Introduction

 

Au moment où les pays africains célèbrent le lancement de la plus grande zone de libre-échange dans le monde, du fait des 55 États qu’elle va regrouper et du poids démographique du continent, il nous semble impérieux de situer l’opérationnalisation de la Zone de Libre-échange Continentale africaine (ZLECAf) de l’Union africaine (UA) dans le contexte d’une Afrique où les conflits et les crises entravent le processus d’intégration régionale. Ces crises limitent les facteurs d’intégration et s’inscrivent dans une incapacité politique d’amorcer le développement. L’UA, créée le 9 juillet 2002 à Durban (Afrique du Sud)[1] dans le but de relever les défis de son ancêtre (l’Organisation de l’Unité Africaine), s’est dotée de l’Agenda 2063[2] , qui est une vision et en même temps un plan directeur, pour la transformation de l’Afrique à travers l’intégration régionale. Ainsi, dans le cadre de la mise en œuvre effective de cet Agenda, les Chefs d’États et de Gouvernements de l’Union africaine ont adopté une Zone du Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf), en mars 2018, lancée officiellement en juillet 2019, après son entrée en vigueur le 30 mai 2019, lors de la 33ème Conférence des Chefs d’États et de Gouvernement de l’Union Africaine qui s’est tenue à Niamey.

Dans ses objectifs généraux, la ZLECAf vise à créer un marché unique pour les marchandises et les services et également faciliter la circulation des personnes afin d’approfondir l’intégration économique du continent africain conformément à la vision panafricaine d’une « Afrique intégrée, prospère et pacifique » telle qu’énoncée dans l’Agenda 2063[3]. Elle prône aussi la sécurité juridique, la sécurité physique des opérateurs économiques et les conditions propices au développement des échanges à travers la création d’un marché commun de 1,2 milliard de personnes, représentant un produit intérieur brut de 2500 milliards de dollars[4]. Cependant, plusieurs défis sécuritaires risquent de compromettre son opérationnalisation, notamment au niveau du bassin du Lac Tchad où sévit la secte Boko Haram, dans la Corne de l’Afrique avec les milices El-Shebab et enfin, celui dans la région du Sahel avec Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Ansarul Islam, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et l’État islamique en Afrique de l’Ouest (AIOA).

Dans ce contexte, il est primordial de s’interroger sur les effets de l’insécurité sur l’effectivité de la ZLECAf. Peut-on voir dans la ZLECAf un instrument contribuant à la stabilité de l’Afrique ?

 

I. Aux origines du projet de libre échange continental, une approche complexe de la réalité africaine

La Zone de libre-échange continentale africaine est un projet qui vise à intégrer l’ensemble des cinquante-cinq (55) États que compte l’Afrique pour créer le plus grand marché régional du monde. Elle souhaite rapprocher les États afin de favoriser les échanges économiques intra-africains. Le modèle d’intégration choisi par le continent africain  est  un  mixte  entre  l’intégration  par  les  marchés  et  celle  par  les institutions, en essayant de suivre de façon parcellaire l’approche proposée par Béla Balassa. Cette approche s’amorce d’une zone de libre-échange à une union économique et monétaire en passant par l’union douanière, le marché commun et l’union économique[5]. Il a fallu attendre 2012,  lors de la 18ème session ordinaire de la Conférence de l’Union africaine[6], pour que la décision de lancer le projet de zone de libre-échange continentale soit prise. L’horizon temporel fixé pour créer cette zone de libre-échange fut 2017[7].

L’objectif d’une intensification du commerce intra-régional africain, l’une des régions du monde avec le niveau le plus bas d’échanges, afin d’éviter la vulnérabilité du continent aux chocs commerciaux et financiers extérieurs, et de renforcer les capacités de production de l’Afrique ; a connu des mutations dès le lendemain des indépendances jusqu’à nos jours. Sur le plan conceptuel, la démarche des nations africaines s’inscrivait plus dans une lutte pour l’indépendance politique, en faveur de la souveraineté, l’intégrité territoriale, l’indépendance et l’élimination, sous toutes ses formes du colonialisme[8], sans une approche de « l’intégration économique »[9] qui ne faisait pas alors partie du mandat de l’OUA. À la suite du Plan d’Action de Lagos pour le développement économique de l’Afrique (1980-2000) considéré comme « la décision politique, économique et sociale la plus importante prise par l’Afrique depuis l’établissement de la charte de l’OUA en 1963 »[10] ; le Traité instituant la Communauté économique africaine (CEA), ou Traité d’Abuja du 3 juin 1991, essayera d’enrayer la lacune économique originaire de l’OUA par la mise en place d’une coordination et d’une harmonisation des politiques entre les Communautés économiques régionales en vue de la mise en place progressive de la CEA[11]. Le retard dans la mise en œuvre de cette approche fera que le Marché Commun d’Afrique de l’Est et d’Afrique Australe (COMESA), la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) et la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC) décideront de créer une zone de libre-échange rassemblant vingt-six pays, intitulée « Zone tripartite de libre-échange » par le traité du 10 juin 2015, de Charm el-Cheikh. Il s’agit d’une étape intermédiaire visant à terme à regrouper l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest en plus de la zone tripartite. Ainsi, lors de sa 25e session ordinaire, la Conférence de l’UA, des 14-15 juin 2015, soit quelques jours après la signature du traité tripartite[12], adopte une décision sur le lancement des négociations sur la ZLEC[13]. En février 2016, le premier forum de négociation de la zone de libre-échange continentale a lieu à Addis-Abeba[14], avec des réunions préparatoires regroupant, en plus les sept Communautés économiques régionales (CER), la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), la Banque africaine de développement (BAD) et des membres de la société civile. En mai 2016, le deuxième forum de négociation revient sur la mise en place des groupes de travaux techniques, ainsi que l’accord sur le plan de travail du Forum de négociation de la ZLEC[15]. Le troisième forum de négociation, d’octobre 2016, a permis un accord sur les termes de référence sur les groupes de travail techniques couvrant des aspects tels que les obstacles techniques au commerce et les barrières non tarifaires, les règles d’origine, les recours commerciaux, les mesures sanitaires et phytosanitaires, les procédures douanières et la facilitation des échanges[16].

Le processus n’aboutira que le 21 mars 2018, lors d’un sommet à Kigali, par l’adoption d’un Accord établissant la zone de libre-échange continentale africaine avec 44 États signataires. Nonobstant les efforts pour convaincre tous les États membres de l’UA à signer le traité instituant la ZLECAf, certains pays tels que le Burundi, l’Érythrée, le Nigeria, la Namibie et la Sierra Leone étaient retissant à l’idée d’une telle zone de libre-échange[17] afin de protéger leurs économies de pratiques de dumping. Le refus de la première puissance économique du continent – le Nigéria – s’explique par l’effet positif qu’un tel accord produirait sur les exportations de l’Union européenne vers l’Afrique, où des multinationales européennes sont déjà en position de force, et pourront concentrer leurs implantations dans les États les plus compétitifs, comme le Maroc, au détriment des autres[18]. En effet, la Commission européenne, qui avait financé en partie le processus de la ZLEC, et elle s’est rapidement félicitée de sa signature par une Déclaration commune de la Vice-présidente de la Commission européenne chargée de la politique étrangère, Federica Mogherini, de la Commissaire européenne au commerce, Cecilia Malmström, et du Commissaire européen au développement et à la coopération internationale, Neven Mimica[19]. Pour certains économistes africains, « les conséquences risquent, à cause des particularités de l’insertion de l’Afrique dans la civilisation capitaliste mondiale, d’être parmi les pires de la vague libre-échangiste »[20]. Cette perspective libérale dans un contexte où le « Commerce, c’est la guerre »[21] sans des « piliers transnationaux » peut être une source de dégradation poussée des États africains comme les pays les moins avancés et favoriser le délitement et l’insécurité au sein de ces derniers à l’instar des effets des plans d’ajustement structurel et du consensus de Washington. Le phénomène de « désindustrialisation » et les problématiques des Accords de partenariat économique (APE) de l’UE font craindre une persistance de l’absence de planification économique à long terme[22]. Si le Nigéria décide de signer l’accord, lors du sommet de l’UA de Niamey, la Présidence « is focused on taking advantage of ongoing negotiations to secure the necessary safeguards against smuggling, dumping and other risks/threats »[23]. À l’exception de l’Érythrée, 54 États ont signé le traité pour 28 ratifications et dépôts d’instruments[24]. En plus de ces tergiversations politiques, les défis sécuritaires, qu’elles soient alimentaires ou relatives aux conflits armés, au terrorisme, à la criminalité organisée, aux coups d’État militaire et constitutionnel, constituent des freins aux intégrations sous régionales et à la mise en œuvre pratique de la ZLECAf.

II. L’incertitude sécuritaire dans le succès de la ZLECAf

Des défis sécuritaires d’ordre politique, économique et systémique freinent l’effectivité de la Zone de libre-échange continentale. Elles touchent entre autres, la question de la délimitation des frontières maritimes et terrestres du continent ou encore les questions de conflits internes.

A – La conflictualité issue de la délimitation des frontières

Nonobstant l’affirmation de l’uti possidetis juris ou l’intangibilité des frontières issues de la colonisation, en 1964, par l’OUA, après la « guerre des sables » entre l’Algérie et le Maroc[25], seules 35,8 % des frontières terrestres africaines sont précisément délimitées[26]. Depuis les indépendances, plusieurs conflits territoriaux interétatiques ont été tranchés par la Cour internationale de justice comme les affaires : Cameroun du nord contre Royaume-Uni (en 1963)[27],  Tunisie/Libye (plateau continental en 1982)[28], Burkina-Faso/Mali (Bély et quatre villages en 1986)[29], Guinée Bissau/Sénégal (frontière maritime en 1989[30] et 1995[31]), Tchad/Libye (Bande d’Aouzou au Tchad en 1994)[32], Bostwana/Namibie (île de Kasikili/Sedudu en 1999)[33], Cameroun/Nigéria et Guinée équatoriale (délimitation de la frontière terrestre et maritime du Lac Tchad à la mer en 2002)[34], Bénin/Niger (île de Lété Goungou en 2002)[35], Burkina-Faso/Niger (en 2013)[36]. Pour y remédier, l’Union africaine lance le « Programme Frontière de l’Union africaine (PFUA) – Unir et intégrer l’Afrique à travers des frontières ouvertes, pacifiques et prospères »[37]. L’absence de démarcation et de délimitation des frontières induit des « zones floues » où il est difficile d’appliquer la souveraineté nationale et l’UA y voit « un véritable obstacle à l’approfondissement du processus d’intégration »[38].

L’objectif est ainsi de faciliter une « dynamique d’intégration transfrontalières » pour faire face aux activités criminelles transfrontalières et permettre l’intégration régionale des CER[39]. Le PFUA doit ainsi renforcer le processus d’intégration en résolvant les conflits liés aux frontières, il s’agit ainsi d’un « outil dans la prévention structurelle des conflits »[40]. En effet, la frontière est une « ressource de guerre »[41] pour les trafics et la contrebande pour tous les groupes armés, des Maï Maï de la République démocratique du Congo (RDC) aux djihadistes du Sahel[42]. Les contrebandiers exploitent les frontières en matière de surveillance des populations et d’activités commerciales, tout comme les policiers, militaires et douaniers qui s’inscrivent dans la même logique en prélevant des « taxes » et en mettant en place une « économie grise » dont les recettes sont rarement reversées aux Trésors publics[43]. Dans certains États comme le Niger, la mise en œuvre de la Compagnie mobile de contrôle des frontières (CMCF) permet une meilleure surveillance des frontières de même qu’une lutte contre les groupes armés, favorisant ainsi de meilleurs échanges commerciaux entre le Niger et le Nigéria[44]. Cependant, les situations de conflits armés en Somalie, en RDC, au Soudan, au Burkina Faso, au Niger, au Mali, en Libye, au Nigéria ou encore en Centrafrique, induisent un affaiblissement de l’État avec l’affaissement des échanges commerciaux et de la libre circulation des personnes et des biens.

B – Les conflits armés et les trafics comme obstacles à une zone de libre-échange continentale

Les conflictualités internes africaines constituent des freins importants à l’effectivité de la ZLECAf si elle n’introduit pas « un renouveau paradigmatique dans les processus de pacification du continent »[45]. Les divers pôles de conflits en Afrique introduisent des coûts élevés sur les plans économique, humain et social avec un réel impact sur le processus d’intégration sous-régional et régional. Ils tendent à réduire le capital humain par la progression de la pauvreté, la baisse de l’emploi, la dégradation des soins de santé ou encore de la qualité de l’éducation[46]. Ces conflits ont également pour conséquence d’aggraver les dépenses publiques de ces pays par une augmentation des déficits budgétaires et de la dette publique au détriment des dépenses sociales, dont l’absence est souvent à l’origine des enrôlements dans les groupes armés[47] et de conséquences économiques lourdes – comme l’afflux de réfugiés – sur les pays frontaliers ne prenant pas part au conflit[48].

La zone du Sahel, qui s’étend sur plus de 7 millions de Km2 avec une multitude de pays comme le Niger, le Mali, le Burkina Faso, le Tchad, la Mauritanie, et une population de près de 135 millions d’habitants[49], se caractérise par une faible présence de l’État dans la partie septentrionale, concernant notamment le contrôle des territoires et frontières, la protection des biens et des services et la justice sociale. La zone sahélienne est devenue, un vaste territoire où des activités criminelles de tout genre se développent librement. Les États du G5 Sahel ont essayé de remédier à cette situation en combinant développement économique et situation sécuritaire. Pour le Secrétaire permanent du G5, Najim El Hadj Mohamed, « depuis la débâcle en Libye, le nord de certains pays est devenu un no-mans land où vivent les terroristes, où tous les trafics illicites ont pris place. C’est le cas notamment du crime organisé à travers le trafic de drogues, d’armes, d’êtres humains et même l’économie de l’enlèvement. Donc il faut que les États se mettent ensemble pour contrecarrer cela »[50].

Dès lors l’opérationnalisation de la ZLECAf demeure difficile dans un contexte de déficience du contrôle des frontières et de la libre circulation des personnes, des biens et des activités commerciales. Ces défaillances rendent difficiles la détermination des règles d’origine devant permettre « le succès de la zone de libre-échange continentale africaine »[51]. Elles peuvent booster l’industrialisation si les États y accordent une priorité dans leurs politiques économiques et sécuritaires. Par exemple, le Niger possède des frontières poreuses insuffisamment contrôlées avec le Mali, qui favorisent les trafics en tout genre. Dans ce cadre, un homme d’affaire originaire de Gao, considéré comme le propriétaire « d’Air Cocaïne », l’avion contenant de la drogue ayant atterri en plein désert malien, s’est constitué une fortune de près de 20 milliards FCFA (environ 34 000 000 de dollars)[52]. Selon le Général de Police Boubacar Issaka Oumarou, Directeur de l’Office central de répression du trafic illicite des stupéfiants, « il serait le principal bailleur de fonds de groupes armés opérant au Sahel et notamment dans le nord Mali escortant la drogue à travers plusieurs couloirs de passage notamment ceux du nord Tahoua et Agadez. Il aurait une relation avec des groupes terroristes comme AL Mourabitoun (fusion entre MUJAO et d’autres groupes djihadistes) »[53]. Il est propriétaire de multiples sociétés au Mali, en Mauritanie et au Niger où il a la société de transport de passagers NOUR et une société de transport de carburant[54].

En outre, les politiques minières étatiques ne favorisent pas la redistribution des ressources par des investissements sociaux. Aussi, certains groupes criminels vont se muer en groupes terroristes dans une perspective de « rattrapage économique » par leurs activités illicites. Aujourd’hui, les échanges commerciaux entre les États du Niger, du Burkina, du Mali, etc., restent difficiles au regard des activités illicites et des attaques terroristes. L’année 2019 fut marquée par une « détérioration rapide la situation sécuritaire »[55] avec « une crise humanitaire sans précédent qui a laissé un total de 5,1 millions de Burkinabé, Nigériens et Maliens dans le besoin »[56]. Les attaques terroristes dans la zone des trois frontières – Niger, Mali, Burkina-Faso –, ainsi que dans chacun de ces États pris individuellement rendent, difficiles les échanges économiques.

Ces difficultés s’illustrent également dans le Bassin du Lac Tchad, où la situation sécuritaire est semblable à celle du Sahel avec un marasme important des échanges commerciaux.. L’apparition de Boko Haram, en 2002, dans l’État fédéré du Borno, au Nigéria, a fait de cette région un des foyers les plus actifs de conflits armés non internationaux sur le continent[57]. Il entorse la libre circulation des personnes et des biens entre la première puissance économique du continent et certains de ses voisins comme le Niger[58], le Tchad et le Cameroun. S’étant réfugié dans les montagnes du Mandara pour lutter contre l’État nigérian[59], Boko Haram participe à l’effondrement de la dynamique économique de ce bassin qui fournit de l’eau et des ressources halieutiques au Niger, au Tchad et au Cameroun en plus du Nigérien. En effet, le bassin fut un « centre important d’échanges entre l’Afrique Centrale et l’Afrique (occidentale ? ) » à l’époque des grands empires(Kanem-Bornou, Baguirmi, Waddai, Mandara, Sokoto…)[60]. Les activités principales des populations de cette région, l’agriculture et l’élevage, furent délaissées voire interdites par les autorités publiques avec l’avènement de Boko Haram[61]. Les « perturbations socio-économiques »[62] deviennent structurelles puisque l’organisation terroriste en plus de prélever des taxes sur les populations locales a créé son propre réseau routier informel pour favoriser ses échanges. En plus de participer à la commercialisation des poissons des îles du lac, interdite par la suite par le Niger, le groupe terroriste a profité de l’exportation halieutique vers le Nigéria pour se constituer une manne financière et racketter les camionneurs.

Aussi, « les grands commerçants qui furent à l’origine de l’exploitation des eaux libres, en construisant de grandes barques à moteur et en finançant les sennes de rivage et les sennes tournantes, avancent l’argent des campagnes de pêche. Ils arment les petits entrepreneurs de pêche familiaux et se livrent à l’usure, pratique dénoncée par la charia »[63]. Ainsi, « l’intrusion violente de Boko Haram sur le lac a pu ainsi apparaître sinon comme une solution du moins comme une opportunité pour récupérer des espaces de culture, des pâturages, des marchés ou, plus prosaïquement, éteindre une dette et profiter du désordre ambiant pour se livrer à des pillages. Une partie des communautés résidentes du lac appellent ainsi de leurs vœux Boko Haram. Cela va à l’encontre de l’antienne sur Boko Haram qui veut que la secte ne prospère que sur le terreau de la pauvreté et de l’ignorance. Le lac c’est l’abondance, une réussite économique insolente de ce que l’on appelait récemment encore le « secteur informel » ou le « secteur intermédiaire » »[64].

La dynamique terroriste conduit à une entorse de la libre circulation des personnes et des biens est une condition sine qua none à la création d’une zone de libre-échange. La politique protectionniste unilatérale du Nigéria de fermeture de ses frontières terrestres avec le Niger et le Bénin, en août 2019, afin de restreindre la contrebande va également à « à l’encontre de tous les traités commerciaux et de libre circulation signés par le Nigeria dans le cadre de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest » et de la ZLECAf[65].

Ces mêmes défis sécuritaires subsistent dans la Corne de l’Afrique avec une dimension différente de celle du Sahel. Cette région fait face à une recrudescence de la piraterie maritime par le groupe Harakat al-Chabab al-Moudjahidin en plus de la « désintégration » progressive de certains États comme l’Éthiopie, le Soudan ou encore la Somalie. Ce sont autant de défis à résoudre pour une opérationnalisation efficiente de la ZLECAf.

CONCLUSION

Les perspectives qu’offrent la Zone de libre-échange continentale africaine ne sont plus utopiques. Toutefois, des pesanteurs sécuritaires sur les plans économique, politique et stratégique, tant au Sahel, dans le Bassin du lac Tchad ou encore dans  la Corne de l’Afrique, rendent difficiles l’opérationnalisation de la ZLECAf. Les États se doivent de créer les conditions afin qu’elle ne soit pas un simple mécanisme inefficace de plus de l’intégration régionale africaine. À l’heure des négociations visant à adopter les instruments prévus par la Convention établissant la ZLECAf, des stratégies plus proactives doivent être mises en œuvre pour permettre l’opérationnalisation de la zone de libreéchange continentale.

 

[1] Benjamin ANOUFA, « L’Union africaine : la solution aux problèmes de l’Afrique ? Une organisation continentale pour résoudre les problèmes de l’Afrique », in Les différentes formes de Fédéralisme dans le Monde, Taurillon, 5 août 2006, consultable sur : https://www.taurillon.org/L-Union-africaine-la-solution-aux-problemes-de-l-Afrique,00943.
[2] Voir : https://au.int/fr/agenda2063/vue-ensemble.
[3] Voir INESI, « Dépôt de l’instrument de ratification de l’accord portant création de la Zone de Libre-échange Continentale africaine (ZLECAf) de l’Union africaine par le Niger »,  Actualités, 1er juillet 2018, consultable sur : https://inesiniger.org/depot-de-linstrument-de-ratification-de-laccord-portant-creation-de-la-zone-de-libre-echange-continentale-africaine-zlecaf-de-lunion-africaine-par-le-niger/.
[4] Discours du Président en exercice de l’Union Africaine (UA), Abdel Fattah El Sisi lors de la 33ème Conférence des Chefs d’États et de Gouvernement, Niamey, 2019.
[5] Bela BELASSA, The theory of economic integration, Homewood, Illinois, R.D. Irwin, 1961, 308 p.
[6] https://au.int/sites/default/files/pressreleases/28962-other-assembly_au_dec_391_-_415_xviii_f_0.pdf.
[7] Voir les points 5 et 6 de la Déclaration sur l’intensification du commerce intra-africain et la création d’une Zone Continentale de Libre-Échange (ZCLE).
[8] Article II § 1 c) et d) de la Charte de l’OUA.
[9] Kwame NKUMAH, L’Afrique doit s’unir, Paris, Présence Africaine, Coll. « Le Panafricanisme », 1994, p. 177.
[10] Conseil économique et social des Nations unies, Commission économique pour l’Afrique, Propositions pour le développement du secteur alimentaire et agricole, E/ECA/CM.11/39, p. 2.
[11] Article IV § 1 d) du traité d’Abuja.
[12] https://au.int/sites/default/files/decisions/9664-assembly_au_dec_569_-_587_xxiv_f.pdf.
[13] Ibid.
[14] Voir http://endacacid.org/latest/index.php?option=com_content&view=article&id=1438:l-afrique-entame-la-negociation-de-sa-zone-de-libre-echange-continentale&catid=507:passerelles-mensuel-2016-1-articles&Itemid=1869.
[15] Voir https://au.int/sites/default/files/pressreleases/30335-pr-cp_183_-_le_2eme_forum_de_negociation_de_la_zone_de_libre-echange_continentale_fn-zlec.pdf.
[16] ICTSD, « La troisième session de négociation sur la ZLEC s’achève sur des avancées limitées », Passerelles, 14 octobre 2016, consultable sur : https://www.ictsd.org/bridges-news/passerelles/news/la-troisi%C3%A8me-session-de-n%C3%A9gociation-sur-la-zlec-sach%C3%A8ve-sur-des.
[17] Jacques BERTHELOT, « L’UE prise au piège du refus du Nigéria de signer l’Accord de Partenariat Economique d’Afrique de l’Ouest et la Zone de Libre-Echange Continental », SOL, 7 mai 2018, consultable sur : https://www.sol-asso.fr/wp-content/uploads/2017/01/LUE-prise-au-pi%C3%A8ge-du-refus-du-Nig%C3%A9ria-de-signer-lAPE-dAfrique-de-lOuest-et-la-ZLEC-SOL-7-mai-2018.pdf.
[18] Ibid.
[19] Ibid.
[20] Jean NANGA, « Zone de libre-échange continentale africaine : Quel panafricanisme ? », CATDM, 30 novembre 2018, consultable sur :
https://www.cadtm.org/Zone-de-libre-echange-continentale-africaine-Quel-panafricanisme.
[21] Yash TANDON, Le commerce, c’est la guerre, Genève, CETIM, PubliCetim N° 39, 2015, 224 p.
[22] Pierrette ESSAMA MEKONGO, « Enjeux et défis de la mise en œuvre de la zone de libre-échange africaine », The Conversation, 18 juillet 2019, consultable sur : https://theconversation.com/enjeux-et-defis-de-la-mise-en-oeuvre-de-la-zone-de-libre-echange-africaine-119636.
[23] https://africa.cgtn.com/2019/07/03/nigeria-to-sign-africa-free-trade-pact/.
[24] Voir :
https://au.int/sites/default/files/treaties/36437-sl-AGREEMENT%20ESTABLISHING%20THE%20AFRICAN%20CONTINENTAL%20FREE%20TRADE%20AREA%20%282%29.pdf.
[25] Pierre TSHINANGA NGELU, Application du principe d’intangibilité des frontières africaines par les États membres de l’Union africaine comme stratégie de paix et de stabilité́ en Afrique, Saint-Denis, Connaissances et savoirs, 2017, p. 137.
[26] Michel FOUCHER, Frontières d’Afrique. Pour en finir avec un mythe, Paris, CNRS, Coll. Débats, 2014, 64 p.
[27] https://www.icj-cij.org/fr/affaire/48.
[28] https://www.icj-cij.org/fr/affaire/63.
[29] https://www.icj-cij.org/fr/affaire/69.
[30] https://www.icj-cij.org/fr/affaire/82.
[31] https://www.icj-cij.org/fr/affaire/85.
[32] https://www.icj-cij.org/fr/affaire/83.
[33] https://www.icj-cij.org/fr/affaire/98.
[34] https://www.icj-cij.org/fr/affaire/94.
[35] https://www.icj-cij.org/fr/affaire/125.
[36] https://www.icj-cij.org/fr/affaire/149.
[37] https://www.peaceau.org/fr/page/27-programme-frontire-de-lua-pfua.
[38] Ibid.
[39] Ibid.
[40] Ibid.
[41] Laurent TOUCHARD, « Des murs et des hommes : sécuriser les frontières africaines au XXIe siècle », Études de l’IFRI, 2018, p. 20.
[42] Ibid., p. 21.
[43] Ibid., p. 22.
[44] EUCAP Sahel Niger, « Compagnie mobile de contrôle des frontières (CMCF) », consultable sur :
https://privacyinternational.org/sites/default/files/2019-09/20190607%20CMCF%20Factsheet%20FR%281%29.pdf.
[45] Christian ABADIOKO SAMBOU, « Les défis de la Zone de libre-échange africaine sont aussi sécuritaires », The Conversation, 1 août 2019, consultable sur : https://theconversation.com/les-defis-de-la-zone-de-libre-echange-africaine-sont-aussi-securitaires-120479.
[46] Phil De IMUS, Gaëlle PIERRE, Björn ROTHER, « Le coût des conflits : les hostilités au Moyen-Orient font payer un lourd tribut aux économies de la région », Fonds Monétaire international – Finances & développement, Décembre 2017,  consultable sur : https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/fre/2017/12/pdf/imus.pdf.
[47] William ASSANVO, Baba DAKONO, Lori-Anne THEROUX-BENONI, Ibrahim MAÏGA, Extrémisme violent, criminalité organisée et conflits locaux dans le Liptako-Gourma, ISS, Rapport sur l’Afrique de l’Ouest, 2019, p. 3.
[48] Mahvash Saeed QURESHI, « Trade and thy neighbor’s war », Journal of Development Economics, vol. 105, 2013. vol. 105, p. 178-195.
[49] Carl HAUB, Toshiko KANEDA, « World Population Data Sheet », 2014, consultable sur: https://www.prb.org/2014-world-population-data-sheet/.
[50] Discours de Monsieur Najim El Hadj Mohamed, Secrétaire permanent du G5, lors de la réunion de haut niveau du G5 Sahel le 14 mai 2015 à Niamey, consultable sur : https://www.unodc.org/westandcentralafrica/fr/g5-conference-niamey.html.
[51] CNUCED, « Les règles d’origine sont déterminantes pour le succès de la zone de libre-échange continentale africaine », Communiqué de presse, 26 juin 2019, consultable sur : https://unctad.org/fr/Pages/PressRelease.aspx?OriginalVersionID=519.
[52] Boubacar ISSAKA OUMAROU, « Liens entre terrorisme et criminalité transnationale organisée », Office central de répression du trafic illicite des stupéfiants, consultable sur : https://www.un.org/sc/ctc/wp-content/uploads/2019/05/Pr%C3%A9sentation-Niger-text.pdf.
[53] Ibid.
[54] Ibid.
[55] Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, « Briefing au Conseil de Sécurité sur le rapport du Secrétaire-général des Nations Unies sur les activités du Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS) – Mohamed Ibn Chambas, Représentant Spécial du Secrétaire-général et Chef d’UNOWAS », UNOWAS, New York, 24 juillet 2019, consultable sur : https://unowas.unmissions.org/fr/briefing-au-conseil-de-s%C3%A9curit%C3%A9-sur-le-rapport-du-secr%C3%A9taire-g%C3%A9n%C3%A9ral-des-nations-unies-sur-les.
[56] Ibid.
[57] Marc-Antoine PEROUSE De MONTCLOS, « Boko Haram et la souveraineté du Nigéria : une histoire de frontières », Hérodote, n° 159, 2015/4, p. 59.
[58] Ibid., p. 65.
[59] Rémi DEWIERE, Du lac Tchad à la Mecque : le sultanat du Borno et son monde (XVIe – XVIIe siècle), Paris, Éditions de la Sorbonne, Coll. Bibliothèque historique des pays d’Islam, 2017, p. 120.
[60] Commission du Bassin du Lac Tchad, « Histoire de la géopolitique du Bassin du Lac Tchad », CBLT, consultable sur :
http://www.cblt.org/fr/histoire-du-bassin-du-lac-tchad.
[61] Géraud MAGRIN, Christine RAIMOND, « La région du lac Tchad face à la crise Boko Haram : interdépendances et vulnérabilités d’une charnière sahélienne », Bulletin de l’association de géographes français, n° 95-2, consultable sur : http://journals.openedition.org/bagf/3117.
[62] Ibid.
[63] Christian SEIGNOBOS, « Lac Tchad : tout comprendre de la stratégie des terroristes de Boko Haram », Le Monde, 29 avril 2016, consultable sur : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/04/29/et-si-boko-haram-faisait-du-lac-tchad-son-sanctuaire-tout-comprendre-de-la-strategie-des-terroristes_4911132_3212.html.
[64] Ibid.
[65] Jeune Afrique, « Fermeture des frontières du Nigeria : la Cedeao en quête de solutions pour garantir le libre-échange », Jeune Afrique, 15 février 2020, consultable sur :
https://www.jeuneafrique.com/896925/economie/fermeture-des-frontieres-du-nigeria-la-cedeao-en-quete-de-solutions-pour-garantir-le-libre-echange/.