INESI – Pouvez-vous vous présenter (cursus universitaire, vie professionnelle) ?

Djamilla Ferdjani (DF) : Je m’appelle Djamila Ferdjani, médecin de formation et présidente fondatrice de l’Organisation non gouvernementale (ONG) Med.Com. Créée en août 2019 à Niamey, conformément à l’Arrêté du Ministère de l’Intérieur n° 01017/MISPD/ACR/DGAP/JDLP, l’ONG Med.Com est engagée dans la lutte contre les maladies non transmissibles, elle est composée de médecins externes et internes, d’infirmiers et techniciens paramédicaux, d’opérateurs de saisie et de logisticiens.

Je suis née le 3 février 1962 à Aoulef (Algérie) et j’ai grandi à Téra, de 1964 à 1967, et à Niamey, à partir de 1967. Après mon baccalauréat, obtenu en 1981, suite à un cursus au lycée français de Niamey et au lycée Madhali d’Adrar en Algerie, j’ai entamé des études de médecine à la Faculté de Sciences de la Santé de l’Université Abdou Moumouni. Mes travaux soutenus en 1989 portaient sur « Le diagnostic et la prise en charge des enfants nés avec des malformations cardiaques ». J’ai effectué mes études de spécialisation en médecine aéronautique, en 2002, et obtenu un diplôme universitaire en économie de la santé à la faculté de médecine de Paris.

Après ma soutenance de thèse en 1989, tout en étant entrepreneure, j’ai fondé la Polyclinique Pro-Santé que j’ai dirigé de 1992 à 2004 en tant que Présidente Directrice Générale. J’ai été la Représente du Niger de Laborex Côte d’Ivoire de 1994 à 2000, consultante auprès de la Banque Islamique de développement de 2005 à 2012 concernant des projets techniques sur la santé et aussi membre du Comité exécutif de la Fondation Orange jusqu’en 2019.

En outre, j’ai participé à la gestion et à la mise en œuvre de programmes de développement sur la santé, le sport et l’insertion des jeunes de 2004 à 2015. Je suis membre fondatrice du Forum Africain de Ouagadougou (AFO) pour le développement de l’Afrique, créé en 2004. Je fus directrice du village olympique des Jeux de la Francophonie de 2005 de Niamey et également Présidente du Comité de mobilisation de fonds pour l’équipe nationale de football (MENA) à la CAN (Coupe d’Afrique des Nations) 2012. J’ai également été chargée de mission pour les Jeux de la Communauté des États sahélo-sahariens, Présidente de la Fédération nigérienne de basket-ball et experte du Comité International des Jeux de la Francophonie pour l’organisation de la huitième édition d’Abidjan en 2017.

Militante panafricaine convaincue, j’essaye de motiver et sensibiliser les jeunes et les adultes sur le développement, la santé et le « consciencisme » comme dirait Kwame Nkrumah.

 

INESI – Vous avez été qualifiée de la « femme la plus sociale du Niger », qu’en pensez-vous ?

DF : Peut-être à cause de mes activités d’entraide ou de l’ONG que j’ai créée pour le dépistage et la prise en charge des hypertendus et diabétiques dans les quartiers défavorisés, ou à cause de l’utilisation que je fais des réseaux sociaux. Si c’est ça, je suis heureuse de cette reconnaissance.

DR FERDJANI

© DF

INESI – Quels sont les principaux défis du secteur de la santé au Niger ? Quelles pistes proposez-vous pour une amélioration de la prise en charge médicale ?

DF : À mon humble avis, il y a plusieurs points :

  • la faible performance du système de santé liée à l’insuffisance des ressources humaines, matérielles et financières accordées à la santé: le nombre de médecins pour 10.000 habitants (2018) est de 0.35, c’est moins d’un médecin. Le budget santé a été grandement affecté ces dernières années.
  • la faiblesse du partenariat et de la coordination avec les institutions internationales : il faut un renforcement ou un changement des stratégies de partenariat existant jusque-là pour mieux appréhender les lacunes et les combler.
  • les taux encore élevés de morbidité et de mortalité: ces taux qui sont des indicateurs principaux peuvent être largement améliorés si une solution est trouvée aux deux premiers points.
  • la fréquence des épidémies et d’autres maladies qui ont un impact négatif sur la santé et qui peuvent être éradiquées définitivement: la mise en place sur tout le territoire d’un système digitalisé de détection et de prise en charge globale et rapide peut en venir à bout.
  • La pauvreté et l’inégalité engendrée face à l’accessibilité des soins : pour rayer ce problème, il faut instaurer une couverture médicale universelle.
DR FERDJANI

© DF

INESI – Le Niger fait face actuellement à des problématiques sécuritaires. Pensez-vous que le sport et le développement personnel peuvent être des clés pour dynamiser la jeunesse ?

DF : Je pense tellement que ces deux domaines jouent un grand rôle dans la lutte contre la déperdition des jeunes que je m’y suis toujours investie. Le sport, en plus de permettre de maintenir une bonne santé, apprend aux jeunes une discipline de vie basée sur le fair-play, la solidarité, la performance, l’intérêt général, l’intégrité, la justice.

J’essaye aussi à mon modeste niveau de pousser les jeunes à une démarche de réflexion sur soi, de valorisation de leur potentiel avec l’objectif d’améliorer leur qualité de vie et surtout de réaliser leurs aspirations profondes. L’objectif étant comme avec le sport de réaliser une meilleure hygiène de vie et de redonner du sens à différents aspects de cette dernière au niveaux : familial, relationnel, spirituel ou encore personnel.

Comme le disait l’écrivain britannique William Ernest Henley, dans les vers de son poème Invictus : « Je suis maître de mon destin, et capitaine de mon âme ». Il s’agit de donner à nos enfants un équilibre de vie, une confiance en soi, une estime de soi ou encore un dépassement de soi. L’objectif n’est pas de copier ce qui vient de l’extérieur mais de donner les clés de l’avenir à nos enfants par l’éducation. Abdou Moumouni revient d’ailleurs sur les éléments de la transmission de cet équilibre de vie par les parents ou la société dans son ouvrage « L’éducation en Afrique », publié en 1964.

 

INESI – Dans une société où les valeurs sociales tombent en désuétude, où l’argent demeure l’alpha et l’oméga, vous avez réussi à motiver et à booster beaucoup de jeunes. Quelle est votre formule ?

DF : Je suis triste quand je vois justement le désintérêt de la société pour toutes les valeurs humaines qui représentent les fondements du bonheur dans la réussite. Et j’ai décidé sur les réseaux sociaux d’envoyer des messages aux jeunes dont les esprits ne sont pas encore altérés par cette fixation sur l’argent. Mon message principal est le suivant : Le meilleur argent est celui qui vient sans noyer ta dignité, ton intégrité, la richesse de ton intellect, de ton cœur et de ta foi.

 

INESI – Quelle est votre approche de la « résilience » ?

DF : La résilience… Cette qualité humaine permet non seulement de mieux accepter les écueils auxquels on fait face dans la vie, mais surtout de transformer ces écueils en force.

Il existe quatre règles à respecter pour réussir cette démarche :

1 – Refuser de tomber dans le piège de la victimisation, car il n’y a rien de plus inhibiteur que ce sentiment ;

2 – Savoir dédramatiser les problèmes qui nous arrivent parce qu’on a tendance à exagérer nos difficultés et ne pas avoir conscience des drames qui nous entourent ;

3 – Faire dans sa tête un listing des points positifs, des bénéfices tirés des expériences précédentes, des leçons, en exprimant de la gratitude ;

4 – Se mettre dans une disposition d’esprit d’aller explorer d’autres solutions, d’autres pistes, d’autres réalisations.

INESI – Vous avez reçu plusieurs prix nationaux et internationaux. Qu’est-ce qu’un leader selon vous ? Quels sont les apports qu’apportent ou pourraient apporter les jeunes leaders ? Peut-on les considérer comme des « bâtisseurs » d’une nouvelle société ?

DF : Le leader utilise l’inspiration liée à sa personne et à sa réussite sociale pour développer chez les autres la confiance en soi, la motivation, la performance, le sens des responsabilités, et faire que chacune des personnes qu’il inspire donne le meilleur d’elle-même pour avancer dans la concrétisation de ses objectifs.

Avec cette définition de leader, on peut être jeune, être leader, et contribuer réellement à bâtir une société émergente.

DR FERDJANI

© DF

INESI – Les réseaux sociaux sont-ils un « moyen » de transformation des mentalités ? Avez-vous une approche économique du potentiel numérique ?

DF : Non seulement les réseaux sociaux sont aujourd’hui l’outil le plus efficient dans la transformation des mentalités, alliant vitesse, mondialisation et puissance, mais aussi un outil qui, en étudiant les comportements humains, peut guider ou booster tout projet économique.

Il existe une prise de conscience du potentiel numérique au niveau de l’Agence Nationale pour la Société de l’Information (ANSI) qui s’efforce de projeter la société et les institutions nigériennes dans une nouvelle ère numérique.

INESI – Quels sont vos modèles d’inspiration ?

DF : Parmi les personnes qui m’inspirent énormément, je vais citer Nelson Mandela, Mère Thérésa et Thomas Sankara, ces héros éternels ; malgré les souffrances qui ont jalonné leur vie, ils n’ont jamais abandonné leurs merveilleux idéaux et leurs difficiles combats.

MANDELA

© Marco Cianfanelli.

INESI –  Pensez-vous qu’il doit y avoir au Niger des « états généraux » sur le « Pacte social intergénérationnel » ? On constate souvent, à l’inverse de certains pays, que les anciens ne s’investissent pas assez dans la « transmission » des connaissances et des savoirs ou encore dans l’éveil des consciences. 

DF : Oui un tel pacte serait très utile. On pourrait penser qu’avec l’Internet, l’ancienne génération n’a plus rien à transmettre vu que tout est sur le Web. Mais la toile est un meelting-pot où le vrai côtoie le faux, où la manipulation et l’embrigadement jouxtent les meilleures intentions.

Donc les anciens peuvent aider les plus jeunes, avec leur expérience de vie et leur savoir, à apprendre à faire le discernement pour ne pêcher que ce qui peut les faire avancer dans leur parcours.

 

INESI – Pouvez-vous conseiller à nos lecteurs trois ouvrages qui vous ont marquée ?

DF :

Le Comte de Monte-Cristo (Alexandre Dumas),

Un long chemin vers la liberté (Nelson Mandela),

Les hirondelles de Kaboul (Yasmina Khadra).

 

INESI – Avez-vous un message pour les jeunes et la future génération ? 

DF : Mon message permanent pour les jeunes, c’est plutôt une prière, épinglé sur mon profil Twitter.

A ceux et celles qui se battent chaque jour pour se réaliser, avancer dans la vie, bâtir en toute dignité leur place dans la famille, la société, le pays, ajouter leur pierre dans le développement de l’humanité, je souhaite que chacun de vos pas soit une marche vers l’avant.

Par L'INESI Le 21 MAI 2020