INESI : Pouvez-vous vous présenter (cursus universitaire, vie professionnelle) ?

 

Adamou Louché Ibrahim (ALI) : Je salue, en prélude de cet entretien, votre initiative et vous souhaite une très belle réussite dans ce noble projet. Concernant mon parcours universitaire, j’ai bénéficié de la bourse de coopération algérienne après l’obtention du Bac G2 « Comptabilité » en 2006 dans le mythique Lycée Technique Dan Kassawa de Maradi (LTDK). Licencié en Sciences Economiques de l’Université de Tizi Ouzou en Algérie en 2010, j’ai intégré l’Université de Bordeaux (Ex Université Bordeaux IV Montesquieu) en 2011, grâce à l’accompagnement de Campus France afin de mieux connaitre les formations que proposent les universités françaises et peaufiner nos choix. Ma passion pour la recherche et ma curiosité intellectuelle ont davantage motivé mon choix pour le Master II Economie Banque et Finance Internationales avec comme spécialité Mondialisation et Stratégies Internationales.

Je suis actuellement Analyste Economique et Chargé de Clientèle dans une grande entreprise publique française. Cette polyvalence me permet d’intervenir dans les secteurs de l’analyse économique et de la relation clientèle. Pour le premier, il s’agit de produire des études et articles économiques visant à éclairer les choix économiques, financiers d’une entreprise ou d’un État. Quant au second, il consiste à contribuer à la qualité du service et au développement commercial du secteur (terrain) sur lequel nous exerçons, dans tous les domaines d’activité.

Réflexions sur Niger Poste

 

INESI :  Vous êtes dans les activités postales. Que pensez-vous de la mue actuelle de Niger et les dynamiques nouvelles qui sont mises en place ?

 

ALI : Les spécialistes de gestion d’entreprises sont unanimes. Toute entreprise, rencontrant certaines difficultés de management, peut se redresser en confiant sa gestion à un leader doté d’une vision éclairée. Lorsque le gouvernement a nommé Idrissa Kané à la tête de Niger Poste, le 25 mai 2017, de nombreuses voix se sont déliées, et de polémiques stériles avaient vu le jour. Aujourd’hui, on s’aperçoit que le gouvernement ne s’est pas « trompé » à travers ce choix. Puisque Idrissa Kané, et son staff ont réussi à modifier l’image de Niger Poste aux yeux des clients. Ils ont également su influer une nouvelle dynamique à cette entreprise dans laquelle régnait une certaine léthargie. La méthode de management a été repensée et des réformes ambitieuses et courageuses ont été mises en place pour que Niger Poste fasse sa mue, innove, mette tout en œuvre pour retrouver sa place d’antan, propose des offres adaptées aux besoins de nos compatriotes et en phase avec son époque. Résultat, Niger Poste a gagné en visibilité et son chiffre d’affaire s’est considérablement accru, passant d’environ 900 millions de F.CFA en décembre 2017 à plus de 2,5 milliards 2018. Une belle prouesse, qui est en partie imputable à l’expérience du nouveau DG – expérience acquise au sein de La Poste française, une des Postes les plus performantes au monde, et dont Idrissa Kané a été l’un des artisans de la transformation réussie.

Cette situation illustre le talent que regorge la jeunesse nigérienne, porteuse d’initiatives, « qui donne de la créativité et à l’entrepreneuriat les fragrances de sucess-story » (Saidou Djibril, 2017) et qui est en mesure de relever de défis importants lorsqu’on lui fait confiance.

Niger Poste Dynamisme

© Niger Poste

INESI : Avez-vous des préconisations à faire à ce niveau ?

 

ALI : Comme mentionné ci-dessus, grâce au dynamisme et à l’engagement fort de son personnel, Niger Poste continue de faire sa mue et de prouver son utilité tous les jours au service de ses clients et de la société nigérienne toute entière, via sa vocation d’inclusion sociale et bancaire et peut-être bientôt numérique. Cela est en partie la conséquence des actions de transformations profondes portées par la nouvelle équipe dirigeante. Il faut s’en réjouir, certes. Néanmoins, il faudrait continuer dans cette lancée, continuer à construire des plans stratégiques, via de démarches participatives. L’accent doit également être mis davantage sur la qualité du service pour une meilleure satisfaction des clients – facteur de confiance et indispensable au développement commercial -, l’investissement dans les compétences de collaborateurs, dans les outils de productions et dans les technologies. Enfin, cette société doit sans cesse innover, à savoir anticiper les besoins de ses clients et épouser les grandes évolutions de la société nigérienne, voire au-delà de nos frontières. Ainsi, Niger Poste demeurera l’un des acteurs majeurs de la transformation du pays.

Personnel Niger Poste

© Niger Poste

 

INESI : Comment favoriser la diversification économique au Niger ?

 

ALI : Depuis 2016, l’activité économique affiche de bonnes performances, avec un taux de croissance de 4,9 % en 2017. Ce taux était de 5,3 % en 2018 et 5,5% en 2019, en raison de la hausse de la production pétrolière et de la production agricole, selon la Banque Africaine de Développement. L’analyse de la croissance du pays révèle une très forte dépendance de notre économie à la production agricole et pétrolière. Certes, la diversification de l’économie s’amorce comparativement aux années antérieures. Mais, elle se fait timidement. Pourtant, le Niger dispose de nombreux atouts qui vont lui permettre de devenir un acteur économique majeur dans la sous-région. Une diversification « accélérée » de son économie devrait lui permettre d’y parvenir.

Voici quelques « moteurs » de diversification recensés par une étude de l’ONU et dont l’application permettrait de réduire la vulnérabilité de nos pays aux chocs extérieurs et donc d’émerger « rapidement ».

* * Les gouvernements doivent établir un climat propice aux affaires (notre pays a fait des progrès remarquables dans ce secteur : 132è sur le plan mondial et 22è en Afrique en 2020, contre 173è mondial en 2011), notamment un cadre réglementaire porteur, des mesures d’incitation pour le commerce international et une aide aux pôles économiques qui contribuent à la diversification ;

* * En raison de sa taille modeste et de ses difficultés d’accès aux capitaux, le secteur privé de l’Afrique en général, et du Niger en particulier, a besoin de l’appui des pouvoirs publics pour tirer parti des opportunités, stimuler l’innovation et élargir ses activités ;

* * Le développement d’activités locales de transformation des ressources naturelles est de nature à stimuler la diversification et les recettes minières peuvent financer d’autres secteurs d’activité.

Pour compenser la taille modeste des marchés nationaux, l’intégration régionale est indispensable, notamment en vue d’atténuer les obstacles qui freinent les échanges régionaux et d’investir dans l’infrastructure régionale. L’entrée effective de la ZLECAf devra permettre de lever ces freins et booster les échanges intra-africains.

* * Les capacités institutionnelles et les ressources humaines doivent être renforcées.

Taux de croissqnce Niger

© AFP/Boureima Hama

 

Impulser l’économie au Niger

 

INESI : La volonté d’accroissement des ressources fiscales au Niger est-elle une dynamique interne ou une dynamique externe avec le FMI et le Conseil des ministres de la Zone CFA ?

 

ALI : Lors de son message à la Nation du 17 décembre 2016, le Président de la République, SE Mahamadou Issoufou, avait beaucoup mis l’accent sur la mobilisation des ressources internes. « Tout sera mis en œuvre pour élargir l’assiette fiscale dans le pays » disait-il sur un ton « ferme ». Une fermeté qui s’inspire du Programme d’action d’Addis-Abeba. Un programme ayant fait de la « mobilisation des recettes publiques intérieures sa priorité. C’est en effet vital pour réaliser les objectifs de développement durable (ODD) relatifs à la hausse de la productivité et la croissance inclusive, mais c’est aussi un moyen de renforcer l’appropriation des politiques publiques par les populations et d’orienter un pays vers une plus grande autonomie financière » (PEA, 2016). En clair, la fiscalité doit occuper une place centrale dans la structure des budgets des pays en développement et dans la construction de la vie démocratique interne.

Pour financer son développement, l’Afrique en général, et le Niger en particulier, dispose de leviers pouvant être actionnés pour réduire leur dépendance vis-à-vis de l’aide internationale en baisse et aux ressources naturelles dont les prix se tassent. Et la fiscalité reste un de ces leviers efficaces, et dont le fruit (la collecte) doit être utilisé de manière efficace et efficiente. Ce qui suppose d’améliorer de la qualité de la dépense publique.

L’amélioration de la qualité de la dépense, qui participe au consentement des populations à l’impôt, reste un défi central dans de nombreux pays africains. Le Niger n’y échappe guère. Selon le rapport du FMDV (2014), « l’amélioration de la qualité de la dépense publique est indissociable de la mise en place de contrôles des finances locales garants d’une gestion locale saine. C’est pourquoi, les législations nationales doivent prévoir la transparence et la performance des collectivités locales. La transparence est nécessaire à l’efficacité et à l’efficience de l’action locale ; elle est incontournable pour la redevabilité des autorités locales vis-à-vis de la population. Elle est améliorée lorsque les citoyens ont accès aux informations sur le fonctionnement et la gestion locale, lorsque les autorités locales respectent un certain nombre de règles et procédures légales en matière de recrutement et d’administration du personnel, d’appels d’offres, de passation des marchés, etc. ; et sont soumises à des audits réguliers et indépendants – financiers mais aussi organisationnels ».

Dans un contexte politique fortement marqué par des soupçons de détournement de deniers publics ou de corruption impliquant les hommes politiques nigériens, cette façon de faire devrait accroître indubitablement la confiance entre le Peuple et ses dirigeants et permettre à notre pays d’accroître significativement ses recettes budgétaires et de figurer parmi les pays les mieux classés en matière de bonne gouvernance dans le monde.

Direction Generqle des impots Niger

© DGI

INESI : Comment mobiliser des recettes fiscales sans baisser le pouvoir d’achat des citoyens ? Que pensez-vous des « budgets citoyens » ?

 

ALI : Je pense qu’il est important de rappeler ce qu’est l’impôt, ainsi que le rôle essentiel qu’il joue dans un pays. L’impôt est une prestation pécuniaire requise des membres de la collectivités (personnes physiques et morales). Elle est perçue par voie d’autorité et à titre définitif, sans contrepartie, en vue de la couverture des dépenses publiques. Quant au pouvoir d’achat, il correspond au volume de biens et services qu’un revenu permet d’acheter. Dans une démocratie, l’acquittement de l’impôt confère le statut de citoyen modèle !   Loin du sentiment « confiscatoire » qu’on attribue à l’impôt, ce dernier sert à financer les infrastructures dont le pays a besoin pour se développer. Développement qui se traduit en général par l’amélioration des conditions de vie de la population. Situation que l’on observe dans de nombreux pays occidentaux.

Au Niger, la réticence de nos compatriotes semblerait légitime eu égard à l’utilisation qui en est faite auparavant. On assistait impuissant à une mauvaise utilisation des deniers publics, voire à leur détournement ; ce qui prive, de facto, de nombreux concitoyens à l’accès à des services de base de qualité. Cette situation nourrit le sentiment d’injustice. Avec les dernières lois de finances visant à rehausser le taux de pression fiscale du pays (environs 13% actuellement, contre 20% recommandé par le FMI), ce sentiment s’est accru car il intervenait dans un contexte de quasi disette – pouvoir d’achat en berne en raison de l’augmentation du coût de la vie dans les centres urbains – et qui s’est traduit, en partie, par de la grogne sociale. Un peu de pédagogie aurait peut-être permis de les atténuer. Puisque les réformes importantes engagées à travers les LF récentes ont essentiellement pour but d’améliorer l’efficacité de la dépense publique (Cf. Compte Unique du Trésor, Budget Programme…), même s’il faut aller plus loin, notamment en matière de transparence dans la gestion des finances publiques et la réduction du train de vie de l’Etat. Améliorer la mobilisation des ressources internes passe nécessairement par ces mesures, auxquelles il faut ajouter le respect de deux principes phares que sont l’égalité devant l’impôt (tout citoyen doit payer correctement ses impôts) et la discipline fiscale (pour faire basculer efficacement les activités informelles, représentant plus de 60% selon l’INS, vers le formel). Enfin, pour limiter les manifestations, souvent violentes qu’on a connues ces dernières années, il serait souhaitable de promouvoir le « budget citoyen ». Le budget citoyen est considéré comme un document simplifié de la Loi de Finances. Il résume les principaux chiffres figurant dans cette Loi, à travers lesquels le citoyen peut déterminer la façon dont les dépenses sont réparties pour financer les services publics, ainsi que les recettes provenant de diverses sources. Ce document permet également aux citoyens de suivre les dépenses publiques et de prendre connaissance des niveaux du déficit budgétaire et de l’endettement public ainsi que de l’évolution des principaux indicateurs macro-économiques. On voit clairement que le budget citoyen constitue un outil puissant permettant l’éducation et l’implication des citoyens dans le processus budgétaire.

mobiliser des recettes fiscales

© OCDE

INESI : Ibrahim Assane Mayaki précise que « les leaders et les jeunes Africains doivent d’abord comprendre qu’ils ont en eux-mêmes les ressources nécessaires pour assurer leur futur : 80% des pays africains pourraient se passer de l’aide publique au développement » (L’Afrique à l’heure des choix. Manifeste pour des solutions panafricaines, Paris, Armand Colin, 2018, p. 11). Qu’en pensez-vous ?

 

ALI : Je partage ce point de vue. L’Afrique reste un continent riche en matières premières. Faute de matières grises suffisantes et capables de prendre leur destin en main, le contient subit ce que l’on appelle la « malédiction des matières premières ». Cela a été accentué par l’absence de dirigeants à même de défendre les intérêts du Continent et d’œuvrer pour le bien-être de leur population. Je suis convaincu que cette situation est loin d’être une fatalité. Le regain d’optimisme en Afrique enregistré ces dernières années me conforte dans mon analyse. Une étude publiée en 2017 par Havas horizons et l’Institut Choiseul indique « un enthousiasme sans équivoque sur les perspectives du continent ». Les investisseurs internationaux continuent de faire part d’un réel engouement pour l’Afrique. Parallèlement, des établissements de formation de qualité fleurissent sur le continent pour offrir à ce dernier de jeunes leaders, dynamiques, innovateurs, capables de créer la prospérité, et mobiliser les ressources nécessaires pour relever les défis auxquels le continent est confronté.

Ce travail devra permettre indubitablement à l’Afrique de s’affranchir de l’aide au développement, qui n’est autre qu’un instrument d’influence politique et économique, de conjurer la malédiction des ressources naturelles et de devenir une puissance à l’image des Etats-Unis.

L'Afrique A l'Heure des chois

© Armand Colin

INESI : Quel est la part de la diaspora dans l’envoi de fonds au Niger ?

 

ALI : L’Afrique subsaharienne est l’une des régions du monde qui bénéficient de plus en plus de ces flux financiers. Deux facteurs essentiels expliqueraient l’importance de ces flux : un nombre important de la diaspora africaine et un taux de pauvreté plus élevé par rapport aux autres régions du monde et qui se caractérise par l’absence de conditions de vie décente dans bon nombre de pays africains.

Les motivations des « expatriés africains » – puisque je récuse le terme « migrant » – qui réalisent les transferts de fonds peuvent être variées et complexes, selon de nombreuses études. Elles peuvent aller de l’altruisme à la solidarité, à une stratégie de prévoyance familiale (volonté d’investir dans son village, par exemple, en vue de son retour au pays). Au Niger, ce sont 282 millions (3,06% du PIB) de dollars américains qui ont été transférés par la diaspora en 2018, contre 93 millions dix ans plutôt, selon la CNUCED.

Cependant, si les envois de fonds des expatriés constituent une source importante et relativement stable de revenu pour des millions de familles, mais aussi de réserves de change pour de nombreux pays en développement, ils ont quelques inconvénients : syndrome hollandais – au fil des ans, l’afflux de fonds cause une appréciation du taux de change, ce qui diminue la compétitivité des exportations du pays – et favorise un relâchement de la gouvernance. En effet, « les larges afflux de fonds, en particulier, permettent aux gouvernants d’être moins attentifs aux besoins de la société. Le raisonnement est simple : les familles qui reçoivent les fonds sont moins exposées aux chocs économiques et moins enclines à réclamer une inflexion de la politique gouvernementale ; les gouvernants quant à eux se sentent moins obligés de rendre des comptes à leurs citoyens » (Finances & Développement, « les envois de fonds sont-ils un piège ? », Septembre 2018).

Il y a urgence donc à tout mettre en œuvre pour permettre à nos Etats d’éviter ou d’échapper au piège des envois de fonds en supprimant les deux inconvénients cités précédemment. « Le remède généralement prescrit face au syndrome hollandais consiste à améliorer la compétitivité des entreprises face à la concurrence étrangère. Les mesures spécifiques consistent à développer l’infrastructure matérielle du pays, à améliorer le système éducatif et à réduire les coûts des entreprises. Les gouvernants pourraient en outre promouvoir plus activement la formation de nouvelles entreprises, notamment grâce à un apport de fonds initial ou d’autres formes de financement des jeunes pousses. Parallèlement, les pays recevant des fonds de l’étranger devraient aussi militer en faveur du renforcement des institutions et de l’amélioration de la gouvernance. Il est déjà considéré comme essentiel de stimuler la compétitivité économique et de renforcer les institutions gouvernementales et sociales en vue d’une croissance inclusive ». (Finances & Développement, « les envois de fonds sont-ils un piège ? », Septembre 2018).

Diaspora Fonds envoyer au niger

© Reuters/Philimon Bulawayo

INESI : Comment accroître l’attractivité et favoriser l’innovation au Niger ?

 

ALI : Depuis quelques années, le Niger est le quatrième producteur mondial d’uranium et exportateur net de produits pétroliers et d’or.  Des efforts d’investissement importants sont faits dans l’agriculture et les infrastructures. Membre de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, sa position géographique lui confère une place stratégique au Sahel. Depuis 2016, l’activité économique affiche de bonnes performances, avec un taux de croissance de 4,9 % en 2017. En 2018, ce taux s’était établi à 5,3 % en raison de la hausse de la production pétrolière et de la production agricole (Perspectives Économiques en Afrique, 2018).  L’économie devrait poursuivre son rythme de croissance rapide en 2019 – (6,3% selon les prévisions du FMI) – grâce à l’investissement infrastructurel, au secteur agricole et aux prix élevés du pétrole et de l’uranium.

Dans le domaine des TIC, le Niger a réalisé un certain nombre de réformes visant à encourager l’essor du secteur. Des mesures tendant à améliorer la connectivité aux infrastructures et services des télécommunications large bande à travers l’extension du réseau fibre optique de 3 314 km ont été prises. Elles devront lui assurer une bonne place dans l’économie ouest-africaine et favoriser le sens de la créativité et du design de nos concitoyens.

Il dispose aussi d’autres atouts : sa jeunesse qui représente plus d’un tiers de la population totale ; une offre culturelle riche et diversifiée ; un système d’éducation et de santé en cours d’amélioration…autant de points forts qui devraient attirer les étrangers au Niger pour investir, voyager, étudier ou vivre. Les IDE, qui témoignent de l’attractivité d’un pays, se sont élevés pour le Niger à 460 millions en 2018 (398 pour le Rwanda et 629 pour le Sénégal) contre 1066 millions de dollars américains en 2011 (119 pour le Rwanda et 320 pour le Sénégal), selon la CNUCED. Le pays doit continuer à se transformer pour espérer capter ces flux financiers.

Dans un contexte de mondialisation croissante, il est toutefois indispensable de continuer à identifier nos atouts, les valoriser, et mieux connaitre nos faiblesses pour les corriger, afin de renforcer davantage notre attractivité.

Nigerelles innovation

© DW/I. M. Madougou

INESI : Avez-vous des propositions concernant l’économie bleue et l’économie verte ?

 

ALI : L’économie bleue et l’économie verte représentent indéniablement une opportunité pour l’Afrique, en général, et le Niger en particulier. Elles sont étroitement liées. Pour la première, selon l’Organisation maritime internationale, son importance stratégique pour le commerce est évidente : 90% du commerce mondial en volume et 70% en valeur se font par voie maritime. En outre, selon de nombreux experts, une gestion efficace, c’est-à-dire l’exploitation durable des ressources des océans, des mers, des lacs et des rivières, pourrait contribuer à l’économie mondiale à hauteur de 1,5 milliards de dollars.

En Afrique, plus de 12 millions de personnes travaillent dans le secteur de la pêche qui assure la sécurité alimentaire de plus de 200 millions d’Africains et génère une valeur ajoutée de plus de 24 milliards de dollars, soit 1,26% du PIB de l’ensemble des pays africains.

Au Niger, le fleuve ainsi que de nombreux lacs et rivières restent malheureusement mal exploités : l’agriculture, bien qu’elle représente environ 40% du PIB, reste très tributaire de la pluie. La pêche, 1,5% du PIB, s’effectue de manière artisanale. Ces secteurs subissent les effets du changement climatique. Le fleuve Niger, ainsi que le lac Tchad sont fortement menacés d’ensablement, voire de disparition. Pourtant, ces ressources représentent une immense opportunité de développer l’économie bleue dans le pays, en misant sur la pêche, de l’aquaculture, du tourisme, des transports et du développement des ports fluviaux…. Ces mesures peuvent sans doute contribuer à réduire la pauvreté et à améliorer la sécurité alimentaire et énergétique, l’emploi, la croissance économique. D’où la nécessité de mettre en place de stratégies pour en tirer pleinement profit. Nous espérons que le Plan national de l’environnement pour un développement durable (PNEDD), et le Programme de gestion durable des ressources naturelles (PGDRN), ainsi que l’initiative « 3N » aboutissent et réussissent pour relever efficacement le défi de la sécurité alimentaire à travers également une meilleure gestion des ressources naturelles et environnementales.

Quant à l’économie verte, elle a été l’un des points saillants des débats à la Conférence des Nations Unies sur le développement durable (Rio+20).  Le Programme des Nations Unies pour l’environnement la définit comme : « une économie qui améliore le bien-être humain et l’équité sociale tout en réduisant de façon significative les risques environnementaux et les pénuries écologiques » (PNUE, 2011a). En d’autres termes, l’économie verte se caractérise par un faible taux d’émission de carbone, l’utilisation rationnelle des ressources et l’inclusion sociale.

Elle regroupe deux types d’activités : des activités classiques réalisées avec des procédés moins polluants ou moins consommateurs d’énergie, et les éco-activités, dont la finalité est la protection de l’environnement ou la gestion des ressources naturelles. On constate un lien évident avec l’économie bleue.

A ma connaissance, il n’existe pas au Niger d’Observatoire, à l’image de ce qui se fait en France, proposant par exemple une double approche du secteur : i) l’approche activités, qui regroupe les éco-activités, qui ont une finalité environnementale, et les activités périphériques, qui participent à une meilleure qualité environnementale. ii) l’approche métiers, qui comptabilise les métiers verts ou amenés à le devenir (métiers verdissants), dans l’ensemble des entreprises, y compris hors du champ de l’environnement.

Compte tenu de l’ampleur du défi que représente le changement climatique, il y a urgence à se doter d’outils économiques devant faciliter le financement du développement durable pour des actions concrètes en faveur de l’environnement. « L’économie verte, reconnue comme un outil du développement durable à la conférence de Rio+20, est à promouvoir dans tous les pays. Le continent africain, en raison de ses richesses naturelles, possède un atout pour sa mise en œuvre » (Martin YELKOUNI, 2018).

Economie blue Economie verte

© Ferme Songhaï

INESI : Que pensez-vous des différents Plans de Développement Economique et Social adoptés par le gouvernement actuel ?

 

ALI : Actuellement, de nombreux pays africains sont – à des degrés divers – engagés dans des programmes de réforme et de planification, initiés par la volonté nationale ou suscités par les institutions partenaires internationales.

Après la mise en œuvre de son premier PDES (2012-2015), le gouvernement nigérien a élaboré un nouveau PDES 2017-2021 dans un contexte marqué par des préoccupations majeures notamment « la persistance des menaces sécuritaires, la migration clandestine, la baisse des prix des matières premières, le changement climatique, etc. ». « Avec ces deux plans, le Niger renoue véritablement avec l’exercice de planification économique après plusieurs décennies d’affaiblissement de la fonction de planification » (SE Mahamadou Issoufou). On voit clairement à travers le PDES que le gouvernement espère poser « les jalons d’une politique économique de moyen terme qui permettra d’impulser une dynamique de développement équilibrée, portée par une forte croissance inclusive et durable ». Une démarche louable et des objectifs atteignables grâce aux nombreuses potentialités et richesses naturelles du pays. Cependant, les experts s’accordent à dire que l’un des facteurs favorisant la réussite d’une planification consiste à bien remonter à la racine causale du ou des problèmes dans le pays, en analysant l’ensemble des facteurs potentiellement explicatifs (personnels, sociaux, environnementaux, économiques etc.) afin d’identifier les stratégies les plus adéquates pour améliorer la situation.

Pdes Niger 2017-2021

© TallMedia Group

Gouvernance et TIC

INESI : Comment améliorer la gouvernance au Niger ? Le pays est-il malade de ses politiques ?

 

ALI : Je tiens à préciser que nous avons un formidable pays, qui regorge de nombreuses richesses, comme mentionné ci-dessus. Cependant, sa place peu enviable dans le classement IDH interroge et laisse penser que de mauvais choix politique ont été fait auparavant. En d’autres termes, notre pays a été victime de la mauvaise gouvernance. Rappelons qu’à contrario, la bonne gouvernance renvoie à la transparence de l’action publique, le contrôle de la corruption, le libre fonctionnement des marchés, la démocratie et l’Etat de droit, selon l’Agence Française de Développement.

Même si tout est loin d’être « rose », le gouvernement actuel a montré qu’un autre Niger est possible à travers de nombreuses réalisations. Les efforts importants d’investissement dans l’agriculture et les infrastructures, pour ne citer que ceux-là, devront favoriser l’accroissement de l’activité économique dans le pays, améliorer le quotidien de nos concitoyens et contenir une éventuelle grogne sociale. Nous devons aller encore plus loin en investissant de manière efficace dans les secteurs clés, à l’image de l’éducation et la santé pour doter le pays de la main d’œuvre qualifiée et en bonne santé et promouvoir la culture de l’excellence et la méritocratie.

Face aux nombreux défis auxquels est confronté le pays, la contribution de tout un chacun semble déterminante pour les relever efficacement.

Ethique et gouvernance le cas du niger

© L’Harmattan

INESI : Quelle est la place de la corruption dans le fonctionnement courant des administrations ?

 

ALI : A l’instar des autres pays en développement, la corruption constitue l’un des freins à notre décollage économique. Mais, pas que ! Avant d’y remédier, je pense qu’il s’avère intéressant d’identifier les véritables causes qui l’engendrent. Quoique nombreuses, la précarité des fonctionnaires, notamment ceux qui exercent le métier de « veille sur la conformité » tout domaine confondu, semble à mes yeux l’une des causes essentielles au développement de la corruption dans notre pays. Car, faute de salaires décents ou de meilleures conditions de travail, les agents de l’Etat sont facilement tentés par le « surplus » facile. Contre quelques billets de banque, ils sont en effet nombreux à montrer du laxisme et de l’indifférence vis-à-vis du non-respect des normes et lois en vigueur. Ce qui explique la mauvaise qualité de certains médicaments, infrastructures (routes…), pour ne citer que ceux-là, dans le pays. Ces infrastructures sont pourtant vitales pour l’émergence d’un pays. L’idéal pour le gouvernement serait donc de créer les conditions quasi optimales de travail : salaires « justes », logement de fonction, promotion pour les agents de l’Etat les plus performants. Ces mesures, quoique non exhaustives devront limiter la tentation.

Un autre facteur non négligeable qui contribue à entretenir la corruption au Niger au sommet de l’Etat, c’est l’enrichissement illicite qui participe, par ailleurs, au financement des partis politiques au Niger. Il faudrait donc repenser, réformer la façon dont se financent ces partis pour espérer atténuer, voire endiguer ces fléaux.

En matière de lutte contre la corruption, je pense que notre pays a enregistré quelques progrès notables puisqu’il est passé de la 134ème place en 2011 à la 120ème en 2019 sur les 180 pays que retienne retient Transaparency International dans son classement annuel ; ce qui laisse penser que certains dispositifs, à l’image de la création de la Halcia, ont commencé à porter leurs fruits. On espère que le classement de 2020 confirmera cette tendance. Cependant, on ne doit pas lâcher du lest. Il faudrait renforcer notre arsenal juridique. La France et les Etats Unis étant une référence en la matière peuvent beaucoup nous inspirer. On doit mettre aussi l’accent sur la sensibilisation des parties potentiellement exposées à ce phénomène. Inciter les citoyens à collaborer en dénonçant toute tentative de corruption. Enfin, il faudrait restreindre la circulation des espèces (argents liquides), à terme, car propice au développement de la corruption. La BCEAO et les autres banques commerciales devront être mises à contribution pour accélérer cette mutation. En clair, il faudrait accélérer la dématérialisation de la monnaie : plus de chèques et de cartes bancaires qui permettent de tracer les transactions et de déceler facilement toute opération suspecte et prévenir les enrichissements illicites et autres fraudes.

Les mécanismes du lutte contre la corruption au niger

© L’Harmattan

 

 

INESI : Que pensez-vous de la mise en place d’une e-administration à l’instar d’IREMBO du Rwanda ?

 

ALI : Les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) jouent indéniablement un rôle très important dans la vie socio-économique de notre pays. Conscient de cette situation, le gouvernement a créé l’ANSI pour conduire le projet « Niger 2.0 ». Un projet qui devra, dans un horizon proche, contribuer à atteindre les objectifs du développement durable, réduire la pauvreté, augmenter les revenus, améliorer les conditions de vie des populations… et faciliter les démarches en ligne avec sa composante « e-gouvernement ».

L’administration électronique peut être définie comme « l’utilisation des techniques de l’information et de la communication (TIC), et en particulier d’Internet, dans le but d’améliorer la gestion des affaires publiques » (L’administration électronique : un impératif. Rapport OCDE 2003).

Le projet « e-administration » en cours de développement avec l’ANSI et Irembo (qui est le portail unique d’accès aux services en ligne du Gouvernement rwandais) constitueront tous un vecteur d’amélioration de la relation administration/citoyen, avec simplicité, efficacité et fiabilité. Pour finir, l’administration électronique permet de proposer une offre plus performante de services aux usagers et d’accroître la transparence administrative. Elle est aussi au cœur de la problématique de modernisation de l’Etat, car elle est un outil d’amélioration de ses procédures et de son fonctionnement interne (décloisonnement, agilité), ainsi que d’optimisation de ses coûts (« L’administration électronique ou E-administration », ENA – Centre de documentation – Bibliographie – Octobre 2016).

Irembo

© Irembo

Ainsi

© ANSI

 ANSI

© ANSI

Perspectives éducatives

INESI : Quels sont les principaux défis éducationnels au Niger ?

 

ALI : Le Niger est confronté à de nombreux défis. Celui qui me préoccupe le plus reste sans doute la question de l’éducation. Puisque l’essentiel des difficultés que connait le pays serait imputable aux problèmes de ce secteur. A commencer par la non scolarisation des enfants qui entrave les efforts du pays visant à créer une croissance économique durable sur le long terme. Malgré les progrès importants accomplis ces dernières années en ce qui concerne l’augmentation de la scolarisation, notamment dans l’enseignement primaire, de nombreux enfants nigériens restent en marge du système éducatif. La Banque mondiale estime le taux de non-scolarisation d’enfants en âge de fréquenter l’école primaire ou le premier cycle du secondaire (soit 6-14 ans ou 7-15 ans, selon l’âge officiel de début de la scolarité) à 51%, contre 24% en moyenne en Afrique Subsaharienne (Bashir, Sajitha, Marlaine Lockheed, Elizabeth Ninan, et Jee-Peng Tan. 2019. « Perspectives : L’école au service de L’apprentissage en Afrique » Collection L’Afrique en développement. Washington, DC : La Banque mondiale). Et une part non négligeable de ceux qui fréquentent l’école n’y acquièrent pas les compétences de base indispensables pour réussir dans la vie. Quel Niger voulons-nous dans ces conditions, sachant que c’est à travers l’éducation que l’on prépare l’avenir d’un pays ?! Je pense qu’il y a urgence à réformer notre système éducatif pour le rendre plus performant. Ce qui suppose d’explorer ces quelques pistes inspirées du rapport de la Banque Mondiale, sans doute non exhaustives, pour espérer inverser la tendance :

1) garantir l’éducation de base pour tous, en mettant l’accent sur l’égalité d’accès, la qualité de l’éducation et la rétention scolaire,

2) assurer une gestion et un encadrement efficaces des enseignants,

3) augmenter les financements en faveur d’une éducation de qualité,

4) renforcer les capacités institutionnelles.

Education Niger

© UNICEF

INESI : Pouvez-vous conseiller à nos lecteurs trois ouvrages qui vous ont marqué ?

 

ALI : Le premier ouvrage dont je recommande la lecture s’intitule « L’Urgence africaine : Changeons le modèle de croissance ! » de Kako Nubukpo. Cet ouvrage « défend la thèse de l’instrumentalisation de l’Afrique comme laboratoire du néolibéralisme avec la complicité de ses propres élites. Il tire la sonnette d’alarme sur la réalité d’un continent à la dérive, subissant des prédations minières et foncières, des sorties massives de capitaux, ou encore la concurrence des surplus agricoles européens. Or des solutions existent : elles reposent sur les ressources et les savoir-faire africains. Leur mise en œuvre suppose le retour à la souveraineté, notamment monétaire, et la prise en compte de la société civile. Il y a urgence, car la croissance démographique fait du continent africain une terre de prospérité future ou… une véritable bombe à retardement ». Quant au second, c’est l’œuvre de Gervais Koffi Djondo, « L’Afrique d’abord », dans laquelle il « vise à démontrer que le regroupement des États d’Afrique en entités plus grandes, allié au développement du commerce interafricain, favorise la réussite et suscite le respect. Il invite les jeunes en quête de modèles, à s’inspirer des idées du Président Djondo et de sa riche expérience, pour construire l’Afrique de demain ». Pour finir, je conseille les « Contes et légendes du Niger de Boubou Hama » ; une œuvre très riche d’enseignements et distrayante.

L'urgence africaine

© Odile Jacob

INESI : Avez-vous un message pour les jeunes et la future génération ?

 

ALI : Le message que j’aime toujours donner aux jeunes consiste à les inviter en permanence à se fixer des objectifs, savoir se projeter, être audacieux et persévérant, résister à la tentation de l’abandon, cultiver ses ambitions. Il faudra également poursuivre la voie de nos rêves, même si le chemin est parfois difficile.

Par L'INESI  Le 05 Mars 2020