INESI – Pouvez-vous vous présenter (cursus scolaire et universitaire, vie professionnelle) ?
Fatoumata Adelle Barry Ibrahim (FABI) : J’ai fréquenté l’école primaire Nogaré, puis le collège Lamordé et le Lycée Issa Korombé (je suis un pur produit de l’école publique Nigérienne) puis je suis allée étudier en Médecine à l’Université Abdou Moumouni de Niamey. J’ai obtenu une Licence Professionnelle en Communication de la Santé pendant mes études en Médecine, aussi un Certificat en Management Publique – Option santé du CESAG au Sénégal, enfin un Certificat de cours d’été en Politique publique de Georgia State University d’Atlanta, USA. Je travaille à temps partiel comme consultante en communication de la Santé sur la prévention du VIH, sur la chimio prévention du paludisme saisonnier mais aussi avec Unicef Niger. J’ai été Mandela Washington Fellow 2018 et je suis actuellement la Secrétaire générale de l’association YALI (Young African Leaders Initiative).
INESI – Vous avez participé aux recherches sur « le diagnostic de détresse psychologique chez les personnes adultes atteintes de cancer » qui ont été couronnées par un prix. Quelles ont été vos résultats ? Existe-t-il des mécanismes de suivi de ces patients ?
FABI : Vous savez lorsqu’une personne est atteinte de cancer, c’est toute la famille qui en est malade. Il suffit de les observer et de leur prêter une oreille pour mesurer le degré du mal-être et de la peur envahissante de mourir dans leurs yeux. J’ai ainsi choisi un sujet de thèse qui fait le diagnostic de détresse psychologique chez les personnes atteintes de cancer dès le moment où ils ont un résultat de laboratoire d’anatomo-pathologie qui le confirme. Ce travail dirigé par l’éminent Professeur Agrégé Psychiatre et Addictologue, Douma Maiga Djibo, a eu le Prix National de ma « Ma thèse en 180 secondes » par Innovation for Development & le Next Einstein Forum, comme meilleure recherche qui aura un impact positif sur la vie des Nigériens et au-delà. Près de la moitié des patients ont une détresse significative et deux sur trois patients ont un impact négatif sur leur productivité pendant leur traitement. Une partie de ces résultats montrent l’urgence qu’il y ait de soins de support holistiques adaptés en plus du traitement médico-chirurgical afin de réduire la souffrance morale due à la maladie pour permettre aux malades d’avoir une meilleure qualité de vie. Surtout pour les malades avec des stades très avancés, si on ne peut pas ajouter des jours à leurs vies, il faut s’assurer d’y ajouter de la joie de vivre au moins.
INESI – Quelle est la place et la vision de la femme dans la société nigérienne ? Comment lutter efficacement contre la déscolarisation des jeunes filles et les mariages forcés ?
FABI : L’éducation est la clé de la liberté, la liberté d’être, de choisir sa vie, d’aider son prochain et sa communauté.
Je ne suis pas une spécialiste du genre, mais le peu que je connaisse me laisse dire qu’éduquer une femme c’est donner un outil indispensable de développement à celle qui élève toute une nation.
Les femmes représentent plus de la moitié de la population au Niger et malgré les campagnes et les discriminations positives, il est impératif qu’elles soient plus représentées partout où les décisions de développement se prennent. Elles sont les éducatrices de cette société, c’est donc pourquoi elles doivent être éduquées sur la scolarisation des jeunes filles.
Je pense qu’en plus des campagnes classiques, il faut que ces jeunes filles soient aussi sensibilisées à toutes les potentialités qu’offre la vie avec un niveau d’éducation, les familles opteront pour le choix de scolariser leurs filles en constatant l’impact positif de l’éducation sur la vie de ces femmes à tous les niveaux, indépendamment de la localité et du secteur. Il faut plus prêcher l’impact d’une éducation sur une vie plus que la scolarisation elle-même car met en lumière le résultat et non juste un processus.
INESI – Réussissez-vous à faire agir les institutions publiques dans vos combats dans le domaine de la santé ou votre engagement communautaire ?
FABI : Il ne s’agit pas juste d’avoir des résultats de recherche ou encore une grande envie de faire la différence, ça demande des compétences et de l’expertise et pour le moment tout ce que je peux faire c’est présenter mon travail et suggérer des changements qui peuvent améliorer la vie d’une communauté.
Être jeune et hors de l’appareil d’État dans notre contexte est un grand frein pour faire agir les institutions publiques, et il en faut beaucoup de persévérance pour aller jusqu’au bout.
C’est pourquoi même si j’adore la Psychiatrie, et les Neurosciences, je suis très intéressée à aller vers la santé publique dans une ou deux ans, pour impacter des millions de personnes à la fois parce que justement améliorer les vies sanitaires des populations à une grande échelle dépasse le rôle du médecin de bureau.
INESI – Vous avez fondé Livres’Niger afin de promouvoir la lecture et la littérature. Quelles ont été vos actions ? Peut-on aujourd’hui parler d’une nouvelle génération d’écrivains après la vague des Ibrahim Issa, Boubou Hama, Idé Oumarou, Adamou Idé, etc. ?
FABI : Je dois beaucoup aux Livres, le livre a changé ma vie. J’ai voulu partager ce grand amour de la littérature, j’ai donc créé Livres’Niger qui a pour vision de déplier le monde à travers le livre et d’atteindre l’excellence personnelle et professionnelle grâce à la lecture. Livres’Niger a deux volets : un volet « Lire Ensemble » qui a pour but de faire redécouvrir la Littérature Nigérienne aux jeunes élèves à travers un projet de lectures, d’expositions de conférences sur les livres du Niger et rencontres d’auteurs Nigériens qui ont réuni près de 950 élèves de Tillabéri, Dosso Maradi et Niamey depuis Janvier 2019. Puis un autre volet pour le grand public avec un Club du Livre avec près de 128 membres qui lisent un livre de développement personnel par mois pour apprendre les sagesses du monde et les partager pendant une rencontre mensuelle qui réunit les membres pour discuter de savoir-être, de savoir-vivre et de savoir-faire.
Cette génération à mon avis est toujours d’actualité quand on remarque la place de la lecture dans notre société. Je préfère dire que nous avons une nouvelle génération de Livres que ce soit par de jeunes ou d’auteurs moins jeunes. Je pense par exemple à Antoinette Tidjani Alou avec son magnifique livre « On m’appelle Nina » qui est une si belle déclaration d’amour au Niger ou encore Razak Réné avec « Le vin d’avril et ses nouvelles primées », Manou Sékou, Edouard Lompo, le Pr Abdoul-Aziz Issa Daouda qui réécrivent les récits épiques de Djado Sékou, et récemment « Le Roi des cons » de Idi Nouhou qui donne une nouvelle peinture de la ville Niamey avec ses beautés et ses complexités.
INESI – Quelle est la place de la femme dans vos écrits ?
FABI : Dans mes écrits, il y a de la place pour les hommes et les femmes car j’écris ce que je vois, je parle de ce que je ressens vis-à-vis de la vie et du monde. Souvent de ce qui ne se dit pas, ce qui se chuchote. J’ai écrit aussi quelques réflexions pour repenser l’Afrique comme dans cette anthologie « soaring Africa » préfacée par Veronique Tadjo et Breytenbreyten Bach ou encore dans un éssai poétique presenté recemment au sommet de l’Union Africaine.
Je pense aussi à ma première nouvelle sur l’excision, à mes poèmes sur les maternités difficiles pour les femmes rurales et dernièrement mon recueil de poème « les Déchues » qui à la base était juste des textes que j’avais notés le long de ma 5è année de Médecine sur mes cours relativement à toutes les larmes féminines que j’ai vues en silence, sur le déni de souffrance chez beaucoup de gens, on m’a souvent appelée « psychologue en herbe ». Mais il n’y a pas que la femme dans mon écriture, il y a aussi beaucoup de personnes âgées car j’y trouve tellement de leçons à apprendre chez elles et récemment j’ai terminé un manuscrit « comment faire le tour du monde quand on n’est pas Magellan » où le personnage principal est un homme retraité qui repense ses croyances à la rencontre de gens et d’expériences sur son itinéraire.
INESI – Quels sont les procédés à mettre en place, selon vous, pour effectuer un changement de paradigme dans la société nigérienne ?
FABI : Ceci est un très vaste sujet, et pour dire vrai il faut mieux repenser ce paradigme que de vouloir le changer. Un peuple qui lit est un peuple qui avance. La lecture est un levier fondamental pour aspirer développer un pays, car entre les pages d’un écrit l’on est capable de voir qu’il n’y a pas que notre façon de faire, mais de millions de manières de faire et de faire mieux. Maintenant, selon un article de population data, à peine plus d’une personne sur quatre est alphabétisée (28,4 % en 2017), et pourtant le partage de ce savoir écrit doit aussi se faire avec eux, dans leurs langues. Il devait y avoir des conférences dans les villages sur des sujets de patriotisme, de civisme et de développement pour que ces populations reculées se sentent parties intégrantes ou une manière de rendre le savoir disponible et accessible partout. C’est continuellement que le changement se fera avec des interventions dans différents secteurs, mais pour moi entreprendre le chemin de la lecture active, serait un grand pas.
INESI – Vous avez un parcours et une vie professionnelle brillants. Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui souhaiteraient être comme Madame BARRY IBRAHIM ?
FABI : Je pense qu’il faut sérieusement prendre le temps de définir ce qu’est la réussite pour eux/elles et cela n’est possible qu’après un travail de connaissance de soi. Il faut que ces jeunes connaissent leurs talents, leurs priorités, leurs besoins fondamentaux en tant que personne, connaitre leurs limites aussi.
Il faut prendre le temps de se connaitre personnellement et de définir ce que l’on veut réellement faire de sa vie, personnellement, professionnellement et au-delà.
Il faut ensuite savoir apprendre et aller chercher le savoir dans les livres, auprès des mentors qui reflètent leur définition de la réussite, apprendre de la vie mais aussi des opportunités de la vie. Il faut aussi développer une grande résilience qui permet d’être persévérant d’exprimer continuellement le courage. Et quand arrivent les échecs, il faut y comprendre par là des limites qui nécessitent un apprentissage de ce qui n’a pas marché pour rebondir jusqu’à la conquête des objectifs.
INESI – Qu’est-ce que le leadership pour vous ?
FABI : J’ai vu et lu beaucoup de définitions de ce mot, qui pour moi n’a rien à voir avec les titres et les positions. Le leadership ne nourrit pas l’égo mais sert une cause plus importante et plus grande. Je préfère parler du Servant-leadership, qui pour moi c’est une capacité à ne pas être indiffèrent aux problèmes d’un environnement, et partir de cette empathie pour apporter son aide que ce soit dans une communauté ou dans une entreprise. Le leader rassemble, fédère, partage mais aussi c’est un continuel apprenant.
Un leader est celui qui regarde les challenges de la communauté comme des opportunités pour faire la différence dans la vie des uns et des autres.
Leadership pour moi c’est aussi offrir de son unique talent pour servir et je ne parle pas de talent « associé uniquement à l’art » mais tout talent de n’importe quelle nature.
INESI – Pouvez-vous conseiller à nos lecteurs trois ouvrages qui vous ont marquée ?
FABI : Je pourrais en citer une centaine, j’ai été marquée par les poèmes de Djalal-ù-dine Rùmi, de Hafèz et de Raina Maria Rilke, mais aussi les essais de Jaques Salomé et de Boubou Hama sur l’Afrique des indépendances. Néanmoins voici des livres qui m’ont beaucoup marquée :
L’Alchimiste de Paulo Coelho,
Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage de Maya Angelou,
On m’appelle Nina de Antoinette Tidjani Alou.
INESI – Avez-vous un message pour les jeunes et la future génération ?
FABI : Lisons, lisez. Encore et toujours.
Il faut lire, qui ne sait pas n’avance pas et qui ne lit pas ne sait pas.
Le savoir-faire est très important, mais le fondamental pour moi que les jeunes doivent apprendre c’est le savoir-être car c’est ce qui détermine notre attitude envers les aléas de la vie.
Quand on lit on apprend, quand on connait on devient libre et qui jouie d’une liberté explore le monde à sa guise.
Par L'INESI Le 04 Janvier 2020
9 janvier 2020 at 10 h 34 min
Cette interview est brillante et inspirante!..
Nous avons au Niger des talents et des modèles à exhumer !…
félicitations à inesi pour son engagement à dénicher les pépites du leadership!….
14 janvier 2020 at 20 h 47 min
j’ai été très ému .Cette discourt m’a donné une très grande envie de lire et de relire. Vous êtes une femme exemplaire