Être une « bonne fille » au Niger renvoie – très souvent –  à l’image de la fille éduquée et parée dès son jeune âge pour accomplir le devoir le plus important de son existence, à savoir obéir et se plier à toutes les demandes de son mari même lorsque ses demandes sont saugrenues. Il s’ensuit que le but de cette « bonne fille » est de s’écraser devant les faits et gestes les plus ineptes et incongrus, le tout dans l’espoir de trouver un « bon mari », c’est la marque d’une réussite ultime au regard de son entourage, et de la société en général.

Mieux encore, pour être la femme que tout homme désire, elle doit être armée de « patience inépuisable », ne pas être ambitieuse et surtout ne pas faire de longues études, car cela risquerait de décourager la gent  masculine à la recherche de l’âme sœur.  À en croire cette pensée, cette gent ne serait pas futée et lui faudrait donc une gent féminine, peu futée, à son image.

Ces mots, resonnant fort dans l’esprit de nos citoyens, sont à peine une exagération des maux qui gangrènent notre société, tant hypocrite et, qui manque d’humanisme à l’égard de nos filles, sœurs, mères auxquelles nous devons en grande partie notre existence. Elles sont les « mamelles de la nation » et ne méritent surtout pas un regard social injuste. Cantonner les femmes à des rôles, qui leur sont accordés à tort soi-disant par la religion ou autre, constitue l’un des plus grands crimes commis à leur égard.

Nos sociétés furent matriarcales et contrairement au mythe de l’infériorité de la femme, d’un être mineur et asservi, il a existé une « civilisation de la Femme dans la tradition africaine ». La « femme africaine, du moins dans la société précoloniale, n’est ni un reflet de l’homme, ni une esclave. Elle n’éprouve aucun besoin d’imiter l’homme pour exprimer sa personnalité. C’est une civilisation originale qu’elle sécrète par son travail, son génie propre, ses préoccupations, son langage et ses mœurs. Elle ne s’est pas laissé coloniser par l’homme et le prestige de la civilisation masculine. Mais sa civilisation, parce que authentiquement féminine, s’est révélée heureusement complémentaire de l’authentique civilisation masculine pour former une seule civilisation négro-africaine ».

Présence Africaine 1975

© Présence Africaine, 1975.

Dès lors, une fille doit pouvoir se sentir tout simplement « humain », pouvoir disposer des mêmes chances dans la société que toute autre personne. Elle doit pouvoir accéder aux mêmes chances d’éducation, d’emploi et surtout de considération sociale.

Pour ceux ou celles qui rabaissent consciemment ou inconsciemment au nom d’une quelconque religion les femmes, rappelez-vous que l’épouse de notre prophète, commerçante, riche et intelligente, fut la première personne à accepter son message. C’est encore une femme qui symbolise la lutte anti-coloniale au Niger. Sarraounia Mangou, reine de Lougou, capitale du royaume Azna, a résisté contre la colonne d’exploration Voulet-Chanoine, en 1899, qui fut « une des missions les plus meurtrières de la colonisation française en Afrique de l’Ouest » ayant pillé et dévasté plusieurs cités, de Saint-Louis au Sénégal à Zinder.

Film Sarraounia d’Abdoulaye Mamani

© Film Sarraounia d’Abdoulaye Mamani, 1986.

Ainsi, un homme qui prétend être un fervent pratiquant de la religion musulmane, un anti-colonisaliste ou néocolonialiste, ne devrait-il pas à être le premier confident de sa femme et l’avoir comme modèle de vie comme le prophète et la reine de Lougou ?

Quoi qu’il en soit, nous devrions donner la chance à nos filles pour qu’elles s’épanouissent et demeurent libres de leurs choix. Qu’elles puissent avoir la chance de choisir leur profession et de bénéficier d’une bonne éducation au même titre que tout autre citoyen parce que « éduquer une femme, c’est éduquer toute une nation ».

Or, dans le Niger contemporain, mon beau pays, la « place » d’une fille dans la société est jugée par le nombre de cérémonies de mariage auxquelles elle assiste et la pléthore d’uniformes qu’elle porte à l’occasion desdites cérémonies. Il n’est pas de notre intention de décourager les filles à assister aux mariages, mais que ceci ne doit pas être le but ultime de leur existence sociale.

Le Niger devient également un pays dans lequel : « être célibataire » passé un certain âge, devient un « crime » plus affreux que les violences faites aux femmes ; où l’importance d’être mariée prime sur l’épanouissement ou la recherche du bonheur, quitte à divorcer après ou rester dans un foyer misérable. Certains diront même qu’elle est finalement entrée dans la cour des grands, la cour des femmes. Sa vie se résume au mariage, avoir des enfants et s’occuper de son foyer.

Soleils d’Afrique.

© Soleils d’Afrique.

Le mariage doit demeurer un acte de consentement libre sans pression sociétale et la femme doit pouvoir garder son autonomie une fois dans son foyer. Une femme indépendante et libre de ses mouvements permet d’augmenter la capacité économique des foyers. Ainsi, l’entreprenariat, la création et l’éducation des enfants constituent un levier de croissance important pour le développement du pays. La culture du machisme voulant que les femmes ferment les yeux sur certaines pratiques honteuses du conjoint doit être revue, tout comme une approche non violente de la question de la polygamie.

En effet, la polygamie est dénaturée de sa conception traditionnelle et religieuse. Elle est devenue un vrai jeu olympique, plus un homme gagne de l’argent, plus il a la chance d’aligner les épouses comme des trophées. Autrefois combattue par les féministes, elle ne rebute plus les femmes instruites, au Sénégal avec 35,2% de foyers polygames. Les statistiques officielles sur la polygamie font défaut au Niger. Mais, dans le contexte nigérien, tout comme dans le contexte sénégalais, la pression sociale du mariage participe à l’acceptation de la polygamie par certaines femmes. Aussi, les femmes souhaitant s’émanciper de cette acception tombent dans un fossé d’amertume, d’humiliation, de manque de confiance et de phallocratie dans lequel elles sortent difficilement.

 La Somone.

© La Somone.

Au-delà d’une question éducationnelle, il est nécessaire de prendre conscience de soi, d’embrasser cette féminité qui fait de nous des êtres humains à part entière, pour enfin atteindre le niveau qui est réellement le nôtre. Nous nous devons d’agir ou au moins d’éveiller les esprits sur ces situations qui malmènent la jeune fille dans notre pays.

Il ne s’agit pas de s’inscrire dans une dynamique occidentale, ni d’agir avec un air condescendant, nous faisons cela car nous sommes convaincus que la femme est l’avenir de l’homme nigérien et que ce dernier doit tout faire pour faciliter le regain de la place initiale de la femme dans notre société.

Les hommes seront les premiers bénéficiaires de l’émancipation des femmes ou filles nigériennes tant dans la gestion du foyer que concernant l’éducation des enfants. L’autonomisation des femmes apporte des bénéfices substantiels dans le développement local, humain et économique. Lorsque les femmes se voient garantir, sans discrimination, l’accès à l’égalité complète de droits, sans pression sociétale, toute la nation en bénéficiera, du point de vue de l’engagement politique, du développement de l’économie, de la santé et de l’éducation.