La valorisation presqu’exclusive de la langue française et de son école dans les pays dits « francophones » en général et le Niger en particulier est l’une des multiples raisons qui ont rendu ces pays incapables de déterminer leur devenir à une échelle mondiale.  L’école coloniale était imposée non pas pour éduquer les populations colonisées, mais pour former des agents à la solde du système mis en place. À la base, l’école coloniale n’était donc pas une école qui poussait les enfants africains vers leur propre détermination, leur propre entreprise, ou vers un esprit d’innovation qui leur profiterait, car elle n’a pas visé leur postérité. Au contraire, elle a imposé une crise d’initiative, qui, même aujourd’hui maintient l’école publique nigérienne dans l’incapacité de se développer davantage et menace l’évolution même des enfants nigériens et le développement du pays. La présente analyse vise à formuler quelques idées sur l’école publique nigérienne, surtout primaire, non de façon exhaustive, mais dans une démarche réflexive introductive.

 

Face à la culture, l’éducation et l’acculturation occidentales, de grands penseurs africains comme Boubou Hama, Amadou Hampâté Bâ et beaucoup d’autres moins connus se sont soumis aux exigences et à la nécessité d’un apport éducatif dans un contexte africain pour pouvoir le soumettre aux enfants africains. Ils ont voulu conscientiser les Africains, c’est-à-dire éveiller leur esprit au sens d’une liberté responsable à travers l’éducation. Le consciencisme renvoie à « une révolution sociale, une révolution intellectuelle, dans laquelle la pensée et la philosophie seront axées sur la rédemption de la société ». Cette assertion de Kwame Nkrumah vise à placer l’homme au centre de la redéfinition d’une politique prenant en compte les valeurs africaines. Les penseurs africains ont compris que s’émanciper et s’exprimer dans ses propres productions et avancer sur les chemins de sa propre histoire permettront à l’éducateur et à l’élève d’être présents pour apporter et recevoir une éducation et une vie dignes. Ils ont poursuivi cette démarche à travers une patience et surtout une passion interculturelle absolue. Certains d’entre eux ont compris dès   le départ, que beaucoup d’Africains seront privés de rêver leurs rêves en tentant de s’orienter dans un contexte dominé par la culture et le mode de pensée français.

 

Aussi, si nous voulons d’un Niger prospère, qui veut faire partie d’un monde plus qu’avancé, devons-nous « nigériniser » l’enseignement primaire ? Quelle est la vision des politiques publiques sur l’école publique et primaire ? Quelle politique socio-économique et culturelle, devons-nous implémenter et même inventer ? Comment élever le niveau des enfants à un niveau de scolarité digne et valable ? Comment élever en même temps le taux de réussite académique de l’enfant et son estime de soi ? Que faire pour redonner à ces enfants le goût de la connaissance, de la créativité ?

 

Face à ces questions qui n’ont rien de futile, il faut avouer que c’est la survie même de l’humanité des Nigériens qui est en jeu.  L’enjeu majeur est de faire comprendre à l’enfant qu’il compte parce qu’il est déjà une perle à première venue dans une classe, un concept externe, et qu’il repartira encore plus dense. Qu’il est intelligent et inébranlable et qu’il mérite d’être éduqué parce qu’il est important. Lui donner un sens d’appartenance et d’estime de soi, dans une société ou l’abandon de toute une partie de la population semble évident. Il faudra commencer par lui montrer qu’il n’est pas un fardeau, et le pousser constamment à croire positivement, ce qui l’incitera à intégrer qu’il est sur le bon chemin. En outre, il faut apporter aux enfants une approche distincte de la perception de leur avenir et surtout leur faire comprendre qu’ils sont capables d’atteindre la lune.

 

Les enfants doivent savoir que leur vie est appréciable de tous, pas seulement de leurs parents, mais des enseignants qui les supervisent et leur apporte la connaissance. Pour les enseignants, le partage du savoir ne doit pas être une corvée ou un simple moyen de survie, mais une véritable passion de service qui les enrichit, qui enrichit le Niger et son humanité en général.  Cependant, un avantage qui peut être tiré de cette situation, sortir du marasme et s’acharner à trouver des moyens d’encouragement qui permettront de se critiquer, de se représenter et de s’imaginer un avenir créé dans son propre contexte, par ses propres méthodes et outils. Les enfants doivent être mis dans des conditions décentes afin qu’ils sachent et comprennent que l’école, leurs parents, les dirigeants, le peuple en entier, se sacrifient pour eux, pour leur réussite. Car chaque enfant a le droit d’avoir un champion, c’est à dire un adulte qui le pousse à oser s’enivrer de rêves et qui ne l’abandonnent jamais, un adulte qui comprend bien le pouvoir de connexion et qui insiste pour qu’il devienne le meilleur de lui-même.

 

En effet, il ne s’agit pas seulement de sonner le glas du statut de l’écolier et de l’école nigérienne. Face aux périls apparemment inévitables, la créativité s’avère essentielle, et soignante à travers un dialogue entre les vieilles idées et les vieilles sagesses. Unir ces modèles à travers nos propres voix, basées sur nos propres questions doit être le mécanisme de la créativité nigérienne et de sa survie. Raffiner, raviver, et réutiliser ces outils et méthodes, les remettre en contexte et les utiliser d’une manière jamais imaginée par les ancêtres, prouvera une mémoire et un des constituants les plus puissants du génie propre nigérien. La créativité est un outil, une rencontre spécifique, mais elle est aussi la célébration de questions qui pousseront vers la transformation d’un peuple et d’un pays, car étant aussi la chose qui lie la connaissance à l’éthique. Elle a toujours été une forme d’orientation indéniable qui peut être cultivée davantage et supportée pour l’éducation. Elle est aussi une forme d’éducation qui insiste sur l’ouverture et la prévenance tout en pointant aussi vers la responsabilité, l’écoute, la justice, l’inspiration, la vulnérabilité, etc. Elle permet de dépasser la platitude de ce que nous souhaitons pour percer ce que devient l’individu, ce qui se passe dans une culture, dans une société et comment prendre la peine de travailler avec, pour qu’il y ait revirement et transformation. Ainsi, la question véritable qui s’impose demeure : au-delà de l’intelligence de l’écolier et celle de l’enseignant, quelle sagesse amasser pendant un temps cours pour apaiser les peurs des jeunes nigériens ?

 

Un peuple doit saisir qu’il est le maitre de son destin. Aussi, un membre de la collectivité qui ne se voit pas au contrôle de ce qui lui arrive, sera déprimé, désorienté et tendra vers le gouffre. Tout le concept de l’éducation que nous connaissons, a besoin d’un changement radical, et à partir d’une position spécifique avantageuse, informée par la science, la culture et la foi. En effet, l’éducation n’est pas seulement ce qui est enseigné, c’est également le type d’information transmis au cerveau. Il s’agit aussi de comprendre ce qui se passe au niveau du psychisme, travailler avec cette connaissance pour aider l’apprenant à se développer, et à mieux apprendre. L’essentiel de l’apprentissage à l’école constitue des compétences, de nouvelles méthodes, parce que le contenu peut être cherché et retrouvé partout dans les choix multiples qu’offre le patrimoine culturel nigérien. L’importance, est d’apprendre pour que l’enfant puisse, sans freiner son élan, être lui-même et s’enrichir dans la profondeur et la grandeur de la connaissance de son peuple avant de chercher ailleurs.

 

L’école publique nigérienne doit être l’espace où l’enseignement consiste à transmettre des méthodes, des pensées, puisque l’enfant doit être introduit à la vie, au sens de l’existence, et surtout à la responsabilisation. Il est impératif d’apporter une réforme à cette école car elle introduit l’enfant au monde des adultes et à l’ailleurs. Sauver l’école nigérienne c’est confier aux élèves des responsabilités qui les raniment et les préparent à l’exercice d’une liberté responsable. L’école ne doit pas se contenter d’être un concept vide, ou seulement une notion, elle doit cesser de faire de l’élève et du futur étudiant un envieux qui ne rêve que de la vie occidentale, qui ne voit son avenir que d’une perspective étroite. Pour cela, l’éducation doit répondre de ses engagements en se portant sur le passé, le présent et l’avenir, car on ne peut seulement viser le futur qui, dans le présent, n’est qu’évasion et divertissement. L’individu doit donc, d’abord assumer le passé, qui est mémoire de transmission, transformée en témoignage, pour réussir le présent et définir l’avenir qui est une attitude ; et quand on n’a pas la bonne attitude dans le présent, il n’y aura pas d’avenir. Il n’est donc pas tard pour l’élève nigérien d’apprendre et de combiner les diverses cultures nigériennes, africaines et internationales, pas seulement française. Une connaissance générale du Niger et de ses différentes cultures et valeurs s’impose.

 

On ne peut diagnostiquer un problème sans connaître l’histoire du problème qu’on aimerait résoudre. Il faudra donc d’abord humaniser l’histoire. Beaucoup d’écoliers, d’étudiants et leurs parents sont à la recherche d’une liberté et d’une survie, ou seulement d’une capacité à créer une vie pour eux-mêmes et pour leurs enfants. Il se peut que les pouvoirs publics n’arrivent pas à saisir la peine des enfants et celle de leurs parents qui voient leur avenir hypothéqué. Dès lors, le Niger ne se retrouve pas seulement dans une crise politique, économique et sociale, il est confronté à une crise spirituelle et relationnelle qui nécessitera un acte d’amour et un acte spirituel qui permettront une convergence de la nation. Elle doit se chercher son propre rythme, construire et élever sa propre culture transformationnelle nigérienne qui doit fondamentalement être enseignée à chaque niveau du système scolaire. Pour cela, l’école doit rester dans son élément, et adopter un scenario d’une portée nouvelle jamais imaginée qui sera adoptée d’une manière flexible et dans une situation naturelle.

 

Apprendre, ce n’est pas seulement d’aller aveuglement de l’avant. C’est aussi incorporer le besoin de regarder vers le passé, parce qu’il existe des sagesses des générations passées qui demeurent ignorées au nom d’une tendance à penser qu’on devient « moderne », qu’on est mieux que ses parents et ses grands-parents dans tous les domaines. Il subsiste des codes et des éléments qui sont propres à la condition humaine depuis des millénaires. Par exemple, l’habitude de l’obéissance est nécessaire dans la formation de chaque homme, et de l’enfant en particulier. L’expérience familiale de l’obéissance oriente l’enfant vers d’autres expériences plus élaborées – à l’école, dans la communauté, la société, et plus tard en politique – qui doivent doit le conduire vers la citoyenneté. Ainsi, il demeure une espèce de pédagogique de l’obéissance et il faut ressaisir ce mouvement permanent de la vie qui nous conduit vers un but. La vie humaine est une succession d’expériences transformatrices qui, quand elles fonctionnent bien, doivent permettre à l’individu justement de s’épanouir comme être complet.

 

Il est vrai que les méthodes traditionnelles nigériennes ne sont pas à elles seules suffisantes pour sauver l’école nigérienne. Mais la méthode occidentale, française en particulier, n’est pas non plus suffisante à relever le défi. Au contraire, elle s’est avérée dévastatrice comme « outil du maitre ». Comme Audrey L’orde le soulignait, « les outils du maitre ne démantèleront jamais la maison du maitre ». L’on ne saurait mieux dire.

 

Réveiller le potentiel qui réside déjà dans les enfants est capital et, l’honorer est indispensable pour aller de l’avant. Il serait absurde de prétendre que les outils et les formes de savoir, d’enseignement et d’apprentissage hérités de la colonisation doivent être totalement remédiés et ignorés. Il faudrait les réadapter à la richesse des savoirs nigériens pour créer une mosaïque dans la connaissance. L’essentiel est de cesser d’être des « prisonniers » de concepts et de théories extérieures et les reproduire au point d’en devenir des prisonniers. L’histoire nigérienne doit être analysée à travers le regard des Nigériens. L’éducation nigérienne doit être centrée sur une tribune d’échanges des Nigériens à plusieurs niveaux (parents, élèves, artisans, artistes, enseignants, bailleurs de fonds…) aux fins de rompre avec la fatalité et d’éviter la dictature de la pensée qui évolue encore chez le Nigérien en général, le conduisant à des complexes profonds qui font que nous nous regardons à travers le prisme occidental. Par ces temps qui courent, le Niger a intérêt à sortir de l’obscurantisme et de sa position de dernier des nations, pour soit joindre au moins les grandes nations africaines ou mieux, adopter sa propre manière de développement, car il n’est pas dit que celle occidentale est toujours la meilleure.

 

Plusieurs approches de développement présentent des lueurs de conscience et de variation d’anecdotes, de narrations et d’histoires créées et présentées par l’être humain depuis la nuit des temps. L’homme, de tout temps a besoin d’histoires parce qu’elles contribuent à la construction de la personnalité et elles stimulent l’inconscient. L’idée de raconter des histoires, par exemple, et l’importance des histoires est cruciale dans toutes sociétés en général. Les formes sont présentes dans les cultures, au Niger en particulier et en Afrique en général. Ces histoires transmettent une mémoire, une mémoire qui crée des témoins. Ces témoins sont ceux qui activent et actualisent le génie propre national. Et la communauté nigérienne est un ensemble de personnes qui créent, recréent et racontent des histoires, leurs histoires. Avec ces histoires, elle a la capacité d’inspirer, d’encourager et de renforcer sa créativité au niveau de la famille, du groupe, de la communauté et de la société.

 

Ces histoires, importantes et déterminantes, qu’elles soient dans l’instruction solide vers la réussite d’un peuple, sont aujourd’hui pratiquement mises en sourdine au Niger, à cause de l’avènement de la télévision et récemment des techniques numériques comme le téléphone portable, les tablettes ou les réseaux sociaux qui ont remplacé la possible narration de ces histoires. Ces instruments modernes sont certes importants en nous donnant ce que nous voulons, mais ne sont pas aussi puissants pour nous enseigner sur ce dont nous avons réellement besoin. Il existe toujours un raccourci disponible, un moyen ironique, moins cher, instantanément compréhensible. Ainsi, il apparaît la chance de jouer avec nos désirs, de les distraire et de les entretenir, quel que soit le cout. Ce qui est encore plus pertinent, c’est qu’il demeure cette tentation à encourager les gens à être plus égoïstes, plus distraits, plus désorientés et irresponsables, aspects plus que jamais préjudiciables aux histoires.

 

En choisissant comment l’on se situe dans le monde, qu’on façonne son expérience de ce monde et qu’on apporte sa contribution à ce monde, l’être façonne son monde, extérieur et intérieur, et ce monde est en réalité le seul qu’il puisse connaître. En revanche, au lieu de courir après le marché pour s’orienter dans ce labyrinthe de ce qui a déjà été pensé, fait ou accompli, la jeunesse devrait au contraire étendre son lieu du possible et s’équiper d’une manière ou une autre pour être présent à cette possibilité.

 

            Se ressourcer à l’intelligence des ancêtres pour de meilleures solutions, c’est dire que nous ne nions ni ne fuyons ces richesses culturelles fondamentales et nécessaires pour l’essence de la vie nigérienne. C’est de ces ressources clivantes, vibrantes et exaltantes que nous découvrirons notre monde, mais celui de l’autre aussi. C’est évident que les cultures nigériennes fourniront une nouvelle forme de vérité qui pouvait remplacer celle qui n’est vraiment pas la sienne, mais qui nous fera penser à celle qui n’a pas encore été imaginée. La faillite de l’école doit nous faire imaginer des rêves, des histoires, jusque-là inimaginées. De ces rêves, de ces histoires, on pourra créer ceux qui feront tenir l’école debout. L’importance des contes, des épopées, des louanges, des généalogies etc., a amené les érudits nigériens à réfléchir sur le rôle de la littérature orale dans le développement social et dans la construction identitaire de tout un chacun. Centraliser les cultures nigériennes, c’est emprunter des dynamiques philosophiques, littéraires, culturelles et développementales dans le patrimoine qui ressourceront les connaissances et l’éducation nigérienne. L’école est à recréer entièrement car il y a l’urgence de développer des curricula qui doivent nous réconcilier avec nous-mêmes, pour encadrer les peurs ravageuses et les appréhensions, qui, pire, développent un complexe d’infériorité par rapport à l’Autre.

 

Ainsi, le respect et la connaissance de soi, de son origine, de son honneur, de la parole donnée, du courage, de la tolérance, de l’altruisme de la responsabilité personnelle, la dignité du travail, etc., sont des valeurs qui se retrouvent dans le contexte nigérien, même si la fantaisie, le libertinage, l’imposture s’activent à remplacer ces valeurs. C’est une instruction sur les valeurs qui portent sur la famille, la communauté, le respect des ainés, et surtout une curiosité pour le passé, le sens du devoir, le respect de la nature, des croyances, de l’honnêteté, de tout ce que les citoyens doués et talentueux sont supposés faire pour une prise de conscience des aspects environnementaux, sociaux culturels et religieux d’un pays.

 

Néanmoins, la plus importante de ces valeurs n’est pas seulement la langue, mais plutôt le langage. S’orientant vers le langage de l’enseignement dans le cadre malien, Amadou Hampaté Bâ disait :

 

« L’enseignement n’est pas donné d’une manière systématique à la manière occidentale moderne, c’est-à-dire avec un programme progressif échelonné et bien reparti dans le temps. Ici, l’enseignement élémentaire, moyen ou supérieur est donne en même temps, selon les évènements et les circonstances, et constitue toujours une leçon de langage en action ».

 

Alors que la langue permet de communiquer, elle a un pouvoir prodigieux de légitimer ou de délégitimer des expériences. Elle aussi joue un rôle prépondérant dans la transmission de la culture, et est un conduit des acquis historiques pouvant conduire vers un développement fondamental de la nation. Et sans la valorisation des langues nigériennes, la survie même de la nation est menacée. Ainsi, le Niger est composé de différentes langues et de différentes régions, de différents mondes et de différents modèles qui représentent des vues différentes, des places, des modèles différents, mais aussi de ressemblance et de similitude. Le langage lui, permet de communiquer et d’interagir car il est un système organisé. Cette combinaison de la langue et du langage permettra de remodeler le récit et démanteler l’ancien récit dominant. Ceci nécessitera une stratégie ou des outils pour cadrer un dialogue élaboré et plus large, une discussion plus inclusive des langues pour une action collective à plusieurs niveaux. Donc la langue est cruciale mais elle n’est pas la seule solution.

 

Le Niger est la place ou interagissent leurs perceptions, leurs langues, leurs expériences sociales, leurs histoires, et leur vie quotidienne. Et cette confluence d’évènements peut être dantesque, mais fascinant aussi. Donc la culture, le social et toutes les dynamiques de cette place nous forment et nous construisent pendant que nous la formons et la construisons aussi. La perturbation de l’un de ces aspects devient stressante à tous les niveaux car ils sont importants pour la santé en général, et pour la santé sociale et économique en particulier.

 

La sagesse est la capacité d’apprendre, de comprendre, de faire l’expérience à travers les perceptions et les manières qui facilitent différentes façons d’efficacité et de succès chez l’être humain. Être sage donc, ne veut pas nécessairement dire l’accumulation d’information, mais comment on engage cette information et comment on l’utilise avec les autres et pour les autres. Donc la sagesse est cette capacité de prendre la connaissance et l’expérience et d’en faire quelque chose qui offre une opportunité de changement. Ici, on peut connecter la sagesse et l’espoir, car c’est cette perspective profonde qui montre que l’être humain a la capacité de produire l’espoir, qui, malgré le monde matériel qui nous contrôle et nous entoure, nous permet d’imaginer un avenir possible et même meilleur. Dévaluer les ancêtres, c’est dévaluer certaines sources de la connaissance et du succès humains. Forts de ces éléments, il est aussi impératif de noter que ce ne sont pas tous les apports, toutes les idées des ancêtres et du passé qui sont utiles et nécessaires à nos tendances modernes. Certaines traditions doivent être bannies par rapport à certaines de nos difficultés.

 

Subséquemment, il est important de savoir qui nous sommes, pourquoi nous sommes la façon dont nous sommes et où nous allons. Et donc c’est un grand dommage pour la société que nous n’ayons pas une très bonne éducation évolutionnaire pour les enfants de l’école primaire surtout. L’école est dans le gouffre car elle est basée sur un modèle inadapté. L’idée que quand quelque chose est brisé, il faut seulement corriger le problème en y apportant une solution, alors qu’un processus évolutionnaire insisterait sur la question de base suivante : quels sont les formes et les processus de variation dans le système scolaire ? Et comment marchent-ils, notamment à l’école primaire ? Quelle est la variabilité et comment modifier les différents systèmes ensemble pour qu’ils se rejoignent et fonctionnent ensemble ? Viser le problème de base et après traiter les problèmes spécifiques aiderait l’école nigérienne dans son ensemble parce qu’elle éclaircirait une interconnexion culturelle et scolaire.

 

On est devant l’obligation de créer quelque chose de nouveau, parce que manifestement un certain nombre de choses sur lesquelles on s’est appuyé, ne fonctionnent plus. L’obligation de créer du nouveau incite à une nouvelle gestion culturelle et à une nouvelle imagination. Alors comment trouver une alternative ? Le sens, l’imagination et l’espoir sont importants au récit humain. La manière dont l’être humain vit sa vie et s’engage, comment il croit à son engagement sont essentiels au développement et au confort humain. Aussi, la manière dont l’être humain se positionne dans le monde, forme comment il se perçoit, comment il interagit avec les autres est centrale à l’humanité, mais encore plus importants sont les actes de compassion et de l’attention et l‘attachement qu’on porte aux autres. Les acteurs doivent démontrer une certaine confiance, mais c’est démontrer de la fiabilité, de la prévisibilité, et de la compassion. Et si le but de beaucoup des acteurs et des structures sociales et communautaires était de démontrer la fiabilité, la prévisibilité et la compassion, l’école nigérienne ne serait pas à la place où elle est aujourd’hui. La perte et la rupture de la confiance est la rupture de structure connective qui amène à la perte, à la séparation et à l’isolement, et étant ainsi, les choses s’écroulent.

L’éducation nigérienne doit revoir sa mission. Il ne s’agit plus de la mission coloniale qui constituait à former des agents de la colonie. Aujourd’hui, sa mission est de créer la richesse, son autonomie et sa fierté. De former la jeunesse qui est un poids démographique conséquent, mais surtout un avantage prodigieux qui peut apporter un déphasage avec les réalités présentes et le mode de pensée de toute une génération. Dans un monde plus que jamais caractérisé par une soif du matériel et de développement technologique et supra électronique à outrance, le Niger fait figure de parent pauvre dans tous les domaines. Dans le contexte du rééquilibrage, de la  redynamisation et de la réorganisation de la société nigérienne, cet essai ne s’efforce pas d’ouvrir des pistes neuves, mais de proposer une réorientation.

 

Faire avancer l’école nigérienne est comme le dit Fanon, « une montée en humanité », c’est comme mener cette école dans un espace plus lumineux, plus flamboyant, une dimension qui offre un moyen d’aller plus loin que le familier, le confort et l’habitude basé sur des styles limités et des outils étroits. Il existe des « Nigers » au Niger. Il est donc temps de trouver l’espace pour expérimenter des outils différents et non ceux utilisés, mais qui se trouvent déjà enfouis dans le patrimoine culturel riche des différentes ethnies qui sont la force et la puissance de l’éducation nigérienne. Il faut utiliser notre trésor, car il y a un besoin crucial d’accroitre le répertoire parce que, ce qui a produit le marasme de l’école nigérienne ne la sortira jamais de son état actuel. L’école est certes tombée dans la rhétorique du chaos, mais on peut la refonder. Elle est dans une situation inédite, donc il faut trouver des solutions inédites. En effet, l’école publique nigérienne n’éduque pas, elle distrait, et sa faillite est palpable et illustre l’impossibilité de continuer dans la voie présente. En quoi éduque-t-on quand on balance un enfant qui ne sait ni lire ni écrire dans sa langue et moins encore dans ce français qui reste toujours une langue étrangère au Niger ?  

 

L’éducation à travers la littérature et la philosophie orale, par exemple, apporte un merveilleux cadre sur, et de certaines manières, mais offre un apport et un espace transitionnels. Elle offre un second voyage très différent dans une complexité rationnelle apportée par le monde plus stable de la famille et de la communauté. C’est aussi un monde qui offre plus de sécurité et d’ancrage à l’élève. Cette forme merveilleuse qu’offre le contexte nigérien de la connaissance, apporte aussi une éducation dans de multiples domaines, exposant ainsi une grande connaissance de valeurs pouvant servir à parler avec une certaine confiance de soi et une assurance que ces jeunes parlent à partir d’une tradition pérenne, d’une identité très stable, que les idées développées ne viennent pas seulement et simplement de lieu étrange et étranger.

 

La littérature orale, par exemple, chantre des créations littéraires et poétiques comme ensemble d’histoires vraies ou imaginées, permet ainsi à un peuple de s’entêter, de prendre son temps et d’investir dans un processus qui aidera les jeunes à voir ce dont ils ont réellement besoin. Cependant, la situation désastreuse dans laquelle se trouve le système éducatif au Niger ne peut nous interpeller sans convoquer la littérature orale, une littérature qui pourrait s’adresser aux réalités du 21e siècle. Cette littérature qui, pas son caractère générationnelle et interculturelle n’est pas et ne peut être un genre de prédation et d’extraction. C’est seulement quand une culture est changée et orientée dans cette voie, que l’on réalisera que c’est un travail qui mérite d’être partagé.

 

L’éducation présente au Niger s’appuie sur le contenu académique parce que l’élève doit être testé à la fin de l’année, donc il doit réussir, et réussir à quoi exactement ? Réussir dans un contexte qui est encore tout occidental et surtout français. L’école publique nigérienne doit s’imprégner dans une humanité responsable qui serait à l’avantage de l’élève, futur étudiant et politicien nigérien garant de son avenir. Cet élève doit comprendre éventuellement, le manège du « taaba taaba » par exemple, la richesse des louanges, des chansons épiques et poétiques des grands poètes, généalogistes, conteurs et griots. Youtube, WhatsApp et les autres réseaux sociaux peuvent remplacer beaucoup de manuels à ce propos. Connaître la Reine Sarraounia Mangou, ou pourquoi les lycées Kassai, Dan Dicko dan Koulodo et Issa Korombé par exemple, portent ces noms, pourquoi le nombril du nouveau-né est jalousement gardé (tradition certainement rejetée ou oubliée aujourd’hui), connaître les pas de danse du bitti ou Kountché harrey, pourquoi le concept du zamu ? Pourquoi ne pas lire, analyser et débattre les trésors de Boubou Hama, inclure les travaux du Pr. Fatimata Mounkaila au niveau général de l’éducation nigérienne ? Et encore plus, les wassan kara ? L’habileté de l’élève à jouer d’une manière créative avec d’autres élèves, par exemple, est certainement déterminant dans la réussite future de l’élève. Les compétitions interclasses, interscolaires, et interrégionales doivent refaire leur apparence parce qu’elles encouragent le succès et une compétitivité des programmes.

 

Ce qui se fait dans le système de l’éducation formelle, est que nous éduquons les jeunes, leur faisant croire qu’ils peuvent vite sortir de la nébulosité et rapidement entrer dans une situation de lumière, alors que ce dont ils ont besoin continuellement est des gens qui tout en étant dans la nébulosité, créent des possibilités que les autres ne sont pas capables de remarquer. Il y a un grand besoin de discipline dans la recherche, car pour développer une grande communauté, un grand pays, il faut de la discipline et la connaissance est déjà là, et elle s’avère présente si nous la désirons et si nous la cherchons.

 

Nous avons besoin d’un espace créatif dans lequel tout le monde peut se joindre pour exprimer ses grands besoins, ses grands désirs pour un meilleur Niger. Au risque de la répétition, bien que la répétition en elle-même soit pédagogie, il faut intégrer nos mille nuances profitables à la population. Le français, langue imposée dans la violence, garde encore une position d’étrangeté car langue hors sol, fourbe et oppressante. Face à ce sentiment, le romancier et essayiste Édouard Glissant nous rappelle, « Ici comme là, une seule et impérieuse vérité : pour qu’une langue devienne langage, il importe qu’elle soit ressentie, vécue par la collectivité comme sa langue, non plus celle d’un autre, si fraternel puisse-t-il être ».

 

Est-ce qu’une culture piétinée peut devenir harmonieuse et capable de mystification d’élever ou d’aider à la canalisation des angoisses abordées ? Peut-on se retrouver dans une langue, une culture qui vous a appris à vous détester, à avoir honte de vous-même ? Même si la génération d’aujourd’hui apprend une culture différente de celle de leurs parents et de leurs grands-parents, les blessures restent vives et le traumatisme continue son parcours car l’école nigérienne est immolée. Mais sur les cendres de ce sacrifice sera créé un espace pour imaginer un nouveau monde. Alors où se tourner pour l’articulation d’un nouveau monde et à quoi il ressemblerait ? A travers les éléments culturels cités plus haut et en compilation de différents supports qui peuvent être utilisés pour raffermir ce monde scolaire.

 

Les danses, les jeux, la musique, le sport, sont le propre de l’éducation non seulement de base, essentiels dans l’apprentissage en général. Les recherches philosophiques, littéraires, psychologiques et autres ont toujours démontré l’importance des arts dans l’éducation. Quand ces paramètres sont inclus dans l’instruction académique, ils ajoutent un aspect social et positif à la formation de l’élève et à son appartenance au groupe, ce qui s’avère crucial à une réussite scolaire. Le jeu, par exemple, est un état d’être dans lequel l’enfant s’investit dans des activités. Il apporte un sens de joie et d’accomplissement en emportant l’enfant en dehors de lui et du temps. Ça aide l’enfant à se développer physiquement et mentalement tout en nourrissant sa créativité et améliorant ses compétences sociales. Il construit une confiance en soi, ce qui permet ainsi une connexion avec les autres et la recherche du nouveau. Comme l’ouverture de l’imagination, le jeu apparaît ainsi comme un élément essentiel de la vie.

 

Ramener les « promenades » juste avant les vacances pour les élèves du primaire serait une idée pour la connaissance de leur alentour, de l’environnement, des noms des plantes et de petites bêtes inconnues surtout pour les citadins. Cette sortie qui était une attente incontournable dans les décennies passées, était bien un moyen qui encourageait les élèves à l’écoute, car c’était un autre moyen pédagogique qui cultivait non seulement la curiosité, mais l’écoute de la nature. Cette promenade peut être combinée à la valeur de l’écoute qui est très importante dans les cultures africaines. L’enfant, dans ces cultures, est censé écouter tant que la parole ne lui est pas encore donnée. Écouter et entendre, sont deux sens importants dans l’éducation formelle et informelle. Ils sont liés au concept du comment nous nous concentrons au comment nous nous sentons. Ces éléments à apparence insignifiante déterminent une bonne compréhension, un bon apprentissage, une bonne réussite et une application de ce qu’on a appris dans sa réalité, car c’est ce qui nous permettrait de penser autrement les cultures étrangères qui continuent à dominer.

 

L’éducation nigérienne stagne dans la prison de la langue française et semble souffrir d’une impuissance, du moins d’une réticence au développement que l’école devrait produire. Aujourd’hui l’école publique nigérienne, si elle existe encore, traverse une crise existentielle inédite. L’auteur ne prétend pas que c’est la seule raison de la faillite de l’école au Niger. Il y a certes plusieurs amalgames qui concourent vers sa faillite comme les difficultés économiques, le non-paiement de salaire des enseignants, les classes surchargées, le niveau faible des enseignants, la concurrence déloyale des institutions privées qui fait que l’éducation pour tous étant hors de portée pour tous, le manque d’une réponse unifiée de l’enseignement, ou les contraintes structurelles, politiques, dévastateurs, les crises d’insécurité, les programmes d’ajustement structurel des années quatre-vingt-dix, et autres. Tous ont contribué à mettre cette éducation en péril et les enfants, les élèves et les enseignants ne constituent plus le barème de sa puissance créatrice. Et la question qui nous interpelle ici est la suivante : que fait-on quand les anciens codes de signification tombent, on va chercher dans les autres archives pour reconstruire, chercher les archives de production de sens et de signification qui auront des choses à nous enseigner. Je dis simplement qu’il est grand temps de revoir les techniques d’enseignement, le contenu des curricula, définir les priorités entre le primaire, le secondaire et le supérieur, et surtout ouvrir les yeux sur la forme de cette éducation. Cette nouvelle créativité, et ces nouvelles possibilités doivent encourager les jeunes à ne pas rester simples réacteurs et observateurs.

Définir les espaces et le succès avec ses propres termes, l’atteindre avec ses propres règles et construire une vie dont on est fier de vivre est à la fin plus que fondamental. Donc, réapprenons à nous regarder, à nous remodeler, et désapprenons ce que l’instruction coloniale et sa langue ont transcrit et écrit sur le corps nigérien. Tout compte fait, beaucoup de Nigériens ne vivent pas dans cette langue, bien qu’elle soit aussi et maintenant une langue nigérienne et africaine.

 

Chaque pays qui s’est développé l’a fait en s’appuyant sur ses valeurs et sa culture, y compris la langue, tout en continuant à les préserver. Le même Jules Ferry qui faisait la promotion de l’impérialisme français à travers le colonialisme au début du XIXe siècle, créait des lois qui raffermissaient la réforme de l’école française imposée aujourd’hui au Niger. C’est cette réforme importante et fondamentale qui influencera pendant longtemps l’évolution de la société française. Cette réforme s’est aussi appuyée sur les valeurs françaises, dans la langue française, valeurs qui étaient à la base de la soi-disant « mission civilisatrice » des peuples dits « inférieurs ».

 

Quand un peuple, surtout sa jeunesse lutte pour trouver le meilleur langage dans lequel elle veut parler de ses identités, elle doit penser d’une manière plus critique ce qu’elle essaie de réellement exprimer. Et la question suivante doit ainsi être posée : de quel langage a-t-elle besoin ? Peut-être qu’il existe déjà et que cette jeunesse doit faire sa petite recherche. Peut-être qu’il n’existe même pas et dans ce contexte elle risque d’en créer une toute nouvelle.

« Ko wa bar guida, guida ya bar ka ».

« Bâa bundu té hari ra jiiri zangu, a si baré ga té kaarey ».

Bibliographie

Bâ, Hampaté. Aspects de la civilisation africaine, Paris, Présence Africaine, 1972.

Blouin, Corinne. « L’importance du conte dans une situation pédagogique », Empan, n° 100,  2015/4, p. 183-188.

Glissant, Édouard, Le discours antillais, Paris, Éditions Gallimard, 1997.

Hama, Boubou, Essai d’analyse de l’éducation africaine, Paris, Présence Africaine, 1968.

Le 16 Juillet 2021 Par Inesi