INESI – Pouvez-vous vous présenter (cursus universitaire, vie professionnelle) ?

 

Lawan Oumara Grema Ari (LOGA) : Je m’appelle Lawan Ouamara, fils de Grema Ari et de Bintou, je suis né dans le courant de l’année 1958 à Chéri dans la commune de Mainé Soroa.

J’ai fréquenté l’école primaire de mon village puis le collège d’enseignement général de Mainé, ensuite le lycée Amadou Kouran Daga de Zinder et après l’obtention du BAC série A4, j’ai été orienté à l’Université de Dakar au Sénégal pour étudier le droit. Mais devant les difficultés après la deuxième année avec certains collègues nous avons demandé à revenir à l’Université de Niamey pour finir nos études.

C’est ainsi après l’obtention de la maîtrise en droit public nous avons été sélectionnés à aller en France pour une formation de magistrat.

Mais avant d’y aller, j’ai fait le service civique national avec 45 jours de formation militaire au centre d’instruction de Tondibia.

De retour au pays au bout de deux ans de formation professionnelle, j’ai été affecté à la justice de Birni Ngaouré comme juge de paix à compétence étendue car exerçant toutes les attributions seul et deux ans après je me suis retrouvé à Gaya avec la même fonction.

J’ai fait trois années dans cette localité avant d’être muté en qualité de Président du Tribunal de Grande Instance de Tahoua où j’ai passé également trois autres années puis muté au Ministère de la justice en qualité de Directeur des études et de la programmation et ce à ma demande.

C’est de là que j’ai été élu membre de la Cour Constitutionnelle qui venait d’être créée courant année 2000 où j’ai eu la confiance des collègues qui m’ont élu Vice-président. Mais après deux ans, avec le président nous avons décidé de démissionner devant le climat délétère avec l’exécutif. Je ne voudrais pas revenir sur les péripéties de cette situation, l’essentiel est que nous avions la responsabilité qui est la notre.

Je suis resté une année entière sans affectation et par la suite on m’a envoyé à la Cour d’Appel de Zinder comme Premier Substitut Général et mon séjour a duré deux avant de prendre le poste de Directeur des études législatives, de la réforme et de l’intégration.

A la suite du coup d’État de 2010, j’ai été affecté à la Cour d’État comme conseiller et depuis 2013 je suis Conseiller en service ordinaire au Conseil d’État.

INESI – Vous avez un parcours judiciaire très respecté, pouvez-vous revenir sur les raisons de votre spécificité ?

 

LOGA : Je tiens à préciser que je n’ai pas de spécificité en tant que tel. Tout mon parcours professionnel est à l’image de l’éducation que j’ai reçue de la part de ma famille dont le credo est l’honneur, la dignité et le respect des autres.

En fait, j’ai toujours évité de me compromettre en faisant attention à tous les actes que je serais amené à poser, donc tout le monde me respecte et même mes supérieurs puisqu’ils n’ont rien à me reprocher.

INESI – Vous avez été le Premier Vice-Président de la Cour constitutionnelle lors de sa création. A l’époque vous avez démissionné avec le Président de la Cour face aux pressions politiques. Pouvez-vous revenir sur cet épisode et le pourquoi du refus de démission collective de la Cour ?

 

LOGA : En septembre 2002, effectivement avec le Président nous avons décidé de démissionner en conséquence de l’attitude de l’exécutif suite à une décision que la Cour a rendue, décision qui n’a pas plu à ce dernier.

La décision concernait deux décrets, relatifs aux forces armées, pris par le Président de la République, jugé non conformes à la Constitution tandis que le gouvernement soutenait l’incompétence de la Cour pour la Chambre administrative de la Cour suprême. Les difficultés d’exécution de la position de la Cour a conduit à notre démission.

Au départ c’était une décision collective pour que l’ensemble de la Cour rende sa démission mais par la suite les autres membres avaient finalement renoncé. Étant les deux responsables de l’institution nous avons remis notre démission au Président de la République.

Cour Constitutionnelle Niger Entretien Lawan Oumara Grema

© Cour constitutionnelle.

INESI – Comment interprétez-vous la séparation des pouvoirs au Niger ? Notamment entre l’exécutif et le judiciaire ?

 

LOGA : L’article 116 de la Constitution nous rappelle que « le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Le pouvoir judiciaire est exercé par la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation, le Conseil d’État, la Cour des comptes, les cours et tribunaux ». Aussi, dans l’exercice de leurs fonctions, les magistrats sont indépendants et ne sont soumis qu’à l’autorité de la loi conformément à l’article 118 du texte constitutionnel.

Je me suis toujours consacré à la défense de l’indépendance de la magistrature. J’ai fait partie des initiateurs de la création du Syndicat autonome des magistrats du Niger (SAMAN) et été membre du bureau pendant plusieurs mandats.

Ainsi pendant toute ma carrière, j’ai combattu toute remise en cause de cette indépendance. Malheureusement, on constate actuellement la remise en cause de l’acquis et des fois du fait même de certains collègues.

Membres Cour Constutionnelle Niger Entretien Lawan Oumara Grema

© ActuNiger.

INESI – Dans l’ordre juridique nigérien, le recours au droit est superflu ?

 

LOGA : Vous savez, on peut tout reprocher à la justice nigérienne (il y a encore des actes peu orthodoxes qui sont posés de temps en temps), il faut le reconnaitre que c’est l’une des institutions de l’État où les citoyens trouvent un peu de réconfort, il y a des magistrats malgré tout qui rendent bien la justice et sur lesquels il faut compter.

Ordre Juridique Niger Entretien Lawan Oumara Grema

© VOA/Abdoul-Razak Idrissa.

INESI – Comment appréhendez-vous le contentieux électoral au niveau de la Cour constitutionnelle et du Conseil d’État ?

 

LOGA : S’agissant du contentieux électoral, je ne peux me prononcer d’autant que je n’ai pas les éléments sur lesquels la Cour Constitutionnelle se fonde pour rendre ses décisions.

Il faut aussi reconnaitre que les dossiers contentieux des élections de toute nature sont très complexes et les décisions qui sont rendues sont mal comprises par certaines personnes, je sais de quoi je parle. Il faut éviter des jugements hâtifs sans prendre connaissance des éléments du dossier et voir sur quoi le juge s’est fondé pour rendre telle décision.

Contentieux éléctoral niger Entretien Lawan Oumara Grema

INESI – Le démembrement de la Cour suprême a-t-il permis une meilleure efficacité de la justice nigérienne ?

 

LOGA : De mon point de vue, le démembrement est une bonne chose pour certaines raisons :

-spécialisation des magistrats ;

-donner une visibilité à la justice ;

-permettre aux citoyens de savoir devant quelle juridiction porter leurs affaires.

L’exemple du Conseil d’État est édifiant au vue du nombre croissant de recours qui y sont introduits.

Cour Supreme Niger Entretien Lawan Oumara Grema

INESI – Le Conseil d’État a une jurisprudence dynamique très enrichissante. Pouvez-vous revenir sur les derniers arrêts de principe du Conseil ? Le 27 novembre 2019, le Conseil d’État a rendu un arrêt « révolutionnaire » où le juge se mue en « historien » du Canton de Koygolo. Qu’en pensez-vous ? Notamment dans l’appréhension du « droit colonial » par le juge ?

 

LOGA : À ma connaissance, le Conseil d’État n’a pas rendu d’arrêts de principe depuis son installation, mais certains avaient pensé à un tel arrêt dans la décision n° 05-15 du 15 juin 2005 rendue par la Chambre administrative de la Cour Suprême dans l’affaire Ali Zaki concernant la chefferie du Katsina. La Cour a dit dans un considérant en application de l’article 7 de l’Ordonnance 93-28 du 30 mars 1993 sur la chefferie traditionnelle que « le droit commun de la coutume en matière de chefferie traditionnelle est de permettre à tous les princes de sang qui remplissent les conditions de se présenter » or il y a eu d’autres décisions antérieures qui avaient déjà fait cas sans que les gens n’en fassent un problème. À mon avis cette réaction est due à la spécificité de cette chefferie, son importance et climat qui régnait autour de cette affaire.

S’agissant du contentieux de la chefferie traditionnelle, il faut vous reporter à l’article 7 de la loi sur le statut de celle-ci et vous allez constater que son application et le respect du processus de dévolution est tributaire de la coutume de chaque entité. Le Conseil d’État est très regardant sur le respect de la coutume de chaque chefferie et c’est pourquoi, c’est au cas par cas que les décisions sont rendues en tenant compte la coutume de ces chefferies.

En ce qui concerne la décision sur la chefferie de Koygolo rendue par le Conseil D’État, je ne peux m’exprimer à propos ne sachant pas le contenu du dossier et les éléments qui ont motivé les membres de la formation de jugement à décider tel qu’ils ont fait.

S’agissant du droit colonial, j’ai fait quatre années à la Direction de la réforme au ministère, la chancellerie a fait beaucoup de réformes. Il a été procédé à la mise à jour de bon nombre de nos textes et cette volonté de moderniser notre législation continue actuellement, il faut voir le nombre de normes qui y sont produites.

INESI – La nouvelle génération de magistrats est-elle bien formée ? Quels bilans tirez-vous de l’École nationale d’administration et de magistrature (ENAM) et de l’Ecole de Formation Judiciaire du Niger (EFJN) ?

 

LOGA : Il faut saluer l’initiative de former les magistrats nigériens sur place, je le dis en connaissance de cause parce que nous avons été formés en France et une fois sur le terrain nous avons tout réappris grâce aux anciens et aux greffiers. Ainsi, pour éviter cette situation, les futurs magistrats sont pris en charge par les plus anciens magistrats dont certains sont les formateurs. Ils vont dès le départ se familiariser avec l’environnement de la justice et prendre la mesure de la tâche qui les attend. En tout cas, le bilan n’est pas négatif et surtout le mode de recrutement a permis de ne retenir que les meilleurs sans aucun risque de fraude quelconque comme l’on a observé dans bon nombre de concours organisés dans plusieurs structures. Il n’y a jamais eu d’irrégularités dans l’organisation des concours de la magistrature.

Maintenant, une fois sur le terrain, chaque magistrat est laissé avec sa conscience pour le respect de son serment et comme dans tout groupe social, il va toujours y avoir des brebis galeuses qui vont ternir l’image de la corporation.

 

INESI – Le secteur de la justice est souvent appuyé par des projets de partenaires extérieures amenant à des refontes institutionnelles et des Codes, comme le code pénal. Est-ce des avancées ou une forme de mise sous tutelle du secteur judiciaire ?

 

LOGA : Le fait que des projets appuient le Ministère de la justice n’est pas un problème en soi, il faut faire en sorte que cela corresponde aux besoins réels de la justice nigérienne. J’ai passé huit ans au ministère, je n’ai pas été témoin d’injonction d’un bailleur ou d’un partenaire. Je ne sais pas si après il y a eu des cas.

Appui à la justice et a la securite au niger Entretien Lawan Oumara Grema

© AFD

INESI – Le juge est-il un garant de la démocratie ?

 

LOGA : À cette question, je ne peux dire oui ou non de façon catégorique, il y a eu des hauts et des bas, cela dépend des différents acteurs. Dans l’histoire du Niger, nous avons vu des juges qui ont résisté aux velléités de l’exécutif de façon courageuse au risque de perdre leurs postes ; d’ailleurs c’est cette culture de préservation des acquis sur l’indépendance de la magistrature que nous tentons d’inculquer aux futurs magistrats.

INESI – Doit-on plus souvent faire recours au juge en amont de la conclusion de contrats d’État ou de conventions internationales ?

 

LOGA : S’agissant des contrats passés au nom de l’État, au vue de multiples anomalies qui ont entrainé des difficultés de tous ordres, il serait souhaitable que des personnes averties et compétentes en la matière soient associées à leurs préparations avant leurs signatures.

 

Par L'INESI  Le 26 Février 2020