INESI – Pouvez-vous vous présenter (cursus scolaire et universitaire, vie professionnelle) ?
Leilla Diana Kaman (LDK) : Je m’appelle Leila Diana Kaman. Je suis née d’un père Targui de Bankilaré et d’une mère Béninoise de Ouidah. J’ai effectué toute ma scolarité à Niamey ; une partie du primaire à l’école Lako, le collège et lycée au Bosso, puis ma terminale au Lycée Bombey.
J’ai ensuite continué mes études en France ; plus précisément à Nice. Ne me demandez pas pourquoi cette ville ; certainement que j’ai dû choisir l’endroit le plus chaud de la France (rires). J’y ai obtenu une licence en Économie Gestion option Administration Économique et Sociale. Je suis ensuite monté sur Paris pour l’obtention d’une maîtrise en Finance option Banque/Assurance.
Après cette maîtrise, j’ai très vite intégré un Cabinet de Gestion de Patrimoine à Paris, en tant que stagiaire puis Responsable Back Office, et enfin Directrice Administrative et Financière (DAF) à la Direction Financière. Cette expérience a durée 8 ans.
En parallèle de toutes ces années au sein de ce cabinet à affiner mon expertise en Gestion d’entreprise et en finance, je nourrissais l’envie de me rapprocher des problématiques rencontrées en Afrique, qui m’étaient encore plus évidentes lors de mes voyages au Niger et dans d’autres pays de la sous-région.
C’est ainsi que j’ai décidé en 2015 de passer un diplôme en Relations Internationales au Centre d’Études Diplomatiques et Stratégiques, à Paris. Mon mémoire, portant sur « Les défis du Sahel : ressources, développement & sécurité », m’a permis de prendre conscience des enjeux de notre société et de l’importance de s’impliquer dans le développement de nos pays, en tant que Diaspora.
J’ai commencé à m’intéresser aux différents leviers d’actions, dont l’entrepreneuriat, plus précisément celui des jeunes, qui représentent la majorité de la population sahélienne.
Pour mettre mes compétences au service de la diaspora, j’ai intégré de 2015 à 2017 le CoNiF (Conseil des Nigériens de France) en tant que Responsable Développement Durable, accompagnant les porteurs de projets associatifs et entrepreneuriaux.
Afin d’accompagner efficacement le développement des porteurs de projets & entrepreneurs, je me suis remise dans les études, toujours en parallèle de mon emploi, mais cette fois-ci dans le coaching d’entrepreneur.
Ainsi après un diplôme d’accompagnateur de startups obtenu en 2017 à l’Université Dauphine à Paris, et huit années d’expérience dans le milieu financier, j’accompagne aujourd’hui les porteurs de projets, les associations et les entreprises en France et en Afrique, à travers ma structure DLC France Conseil. Je suis également la Co-fondatrice de DLCoworking Niger, un espace de Coworking & Conseil basé à Niamey, qui accompagne et mets à disposition un espace de travail dédié aux femmes et jeunes entrepreneurs du Niger.
Je milite pour la prise en compte de la diaspora comme partie intégrante dans le développement de nos pays ; la collaboration entre les jeunes de la diaspora et ceux du pays ; le changement de paradigme dans la construction des projets et l’implication des ressources locales.

Site web : https://dlcoworking.com/
INESI – Avec votre expérience associative pourriez-vous nous indiquer la place de la diaspora nigérienne dans le transfert de fonds et la mise en place de projets locaux au Niger ? Quels sont les mécanismes pour réussir à mobiliser des ressources pour le Niger ?
LDK : Selon la banque mondiale, les transferts de fonds de la diaspora africaine subsaharienne ont atteint 46 milliards de dollars en 2018, contre 42 milliards l’année précédente. Le Nigéria figure en tête des pays bénéficiaires avec 23,4 milliards de dollars reçus de sa diaspora en 2018. Le Niger lui, totalise 282 millions de dollars d’entrées de fonds de migrants qui participent à hauteur de 3% du PIB.
La dernière étude sur les spécificités de ces transferts de fonds sur le Niger date de 2013 par la BCEAO. Ainsi on y découvre que l’Afrique constitue la principale source de provenance des transferts reçus au Niger (61,5%), notamment la côte d’ivoire et le Nigéria ; ce qui s’explique par l’importance des immigrés nigériens qui y résident. L’Europe vient en 2nd position (30,7%) avec en tête la Belgique, les Pays-Bas puis la France. La majorité des fonds est destinée à la consommation courante des familles, par conséquent, non créateurs de richesses pour le pays.
Il serait intéressant de refaire cette étude pour voir l’évolution de ce schéma. Il est évident que pour avoir un impact sur le long terme et participer au développement, la diaspora nigérienne doit continuer à s’organiser notamment dans le cadrage des projets à destination du Niger.
Cela passe par exemple par la mise en place d’un fonds d’investissement qui permettrait à la diaspora d’investir son épargne dans les startups locales à fort potentiel et dans les projets répondant aux besoins de bases (Santé, sécurité alimentaire, Éducation etc..). Le Conseil des Nigériens de France (CoNiF) travaille actuellement sur cet aspect.
Également, l’État pourrait émettre des bonds diaspora pour mobiliser l’épargne des nigériens de l’extérieur dans des projets industriels, d’infrastructures, immobiliers etc… Ce mécanisme a l’avantage de rassurer l’épargnant quant à l’utilisation de ses fonds.
Nous devons également trouver le moyen de passer outre les grandes structures de transferts de fonds qui sont assez onéreuses. Pourquoi pas une open innovation entre La poste Nigérienne et une startup locale qui développerait une solution de transfert de fonds dédiée à tous les nigériens de l’extérieurs ?
En résumé, nous devons allier initiatives privées & publiques pour réussir à mobiliser les ressources de la diaspora nigérienne.
INESI – Vous avez co-fondé DLCoworking Niger. Quels sont vos buts et objectifs ?
LDK : DLCoworking (DLC) Niger a été créée en 2017. Notre vision est de révéler le potentiel nigérien en offrant un cadre de travail agréable et un accompagnement sur mesure aux femmes et aux jeunes entrepreneurs porteurs de projets.

© DLC
DLC est née d’une volonté d’une part, d’avoir un impact dans mon pays, et d’autre part d’intégrer la diaspora en tant que levier de développement. Adepte de l’intelligence collective, la création d’un espace de Co-Working s’est très vite imposée.

© DLC
Nous sommes deux nigériennes à l’origine de la création de DLC, l’une de la diaspora et l’autre vivant au Niger. En effet, nous faisions le constat que nous, femmes nigériennes, ne travaillions pas assez ensemble alors que nous avons tellement à nous apporter mutuellement. Ainsi, DLC mise sur la complémentarité des compétences et des actions car, c’est ainsi que naissent les projets d’impact à long terme.
Nous travaillons essentiellement sur fonds propres mais collaborons avec des institutions pour des programmes bien spécifiques. Pour exemple, nous avons l’appel à projet « ODD au féminin » lancé en décembre dernier qui permet d’incuber des projets répondants aux ODD. La première édition a eu lieu en partenariat avec l’organisation Internationale de la Francophonie.

© DLC
Notre souhait pour les années à venir est d’impliquer davantage les grandes entreprises locales dans le développement des porteurs de projet à travers l’open innovation qui permet à chaque partie de trouver son intérêt.
INESI – Comment appréhendez-vous la dynamique de l’entreprenariat nigérienne ? Pensez-vous que les « femmes sont la voie de sortie du sous-développement » ?
LDK : Nous avons une jeunesse nigérienne consciente des enjeux économiques, démographiques, climatiques etc. Le porteur de projet accède de plus en plus à l’essentiel pour réussir son projet (structures d’accompagnements, modèles inspirants, les acteurs de la création etc.). L’accès au financement et la mise en œuvre restent le principal problème des porteurs de projets, notamment des femmes. Notre rôle sera donc de faciliter l’accès au fonds à ces femmes et jeunes porteurs de projets, et cela passe par l’accompagnement dans le montage de dossiers de qualité et la mise en relation avec les structures de financement. En tant que structure d’accompagnement, nous devons également veiller à ce que ce ne soit pas toujours les mêmes aux devant de la scène ; détecter sans cesse de nouveaux projets innovants ; ayant de l’impact et plus particulièrement les projets portés par des femmes car elles sont par nature beaucoup plus discrètes que les hommes.
Nous devons également inscrire nos actions dans le temps et surtout permettre aux populations vulnérables d’être partie intégrante de cette dynamique. A chacune de nos actions, nous devons éviter de tomber dans le phénomène de mode que représente aujourd’hui « l’entrepreneuriat ». Un cadre bien spécifique doit être posé afin d’éviter des actions éparpillées, par conséquent sans impact sur le long terme. Ces dernières années, les autorités ont compris ces enjeux et s’efforcent de travailler dans ce sens, ce qui nous parait indispensable.
Pour ce qui est des femmes, elles ont toujours été, depuis la nuit des temps, le socle de la famille, et donc de nos sociétés. Elles ont toujours été courageuses et ingénieuses pour nourrir leur famille. Parler de développement sans elles est tout simplement inconcevable. L’idée n’est pas ici de les opposer aux hommes car, pour qu’une société fonctionne il faut associer le masculin et le féminin. Mais dans nos sociétés, la femme est confrontée avant tout à la barrière sociale qui la pousse à sous-estimer ses moyens et sa force. Il faut donc leur redonner leur place pour qu’ensemble nous travaillions à résoudre les enjeux & défis de notre pays. Cela passe par la sensibilisation de l’entourage, l’accès à un lieu d’expression et cadre de travail (que nous mettons à leur disposition) ; l’accès aux nouvelles technologies pour le développement et la professionnalisation de leurs activités, et un accompagnement sur mesure permettant la pérennité de leurs activités.
Pour répondre donc à votre question, il me parait évident que sans la femme on ne peut parler de développement.

© Squaredpixels/Istock
INESI – Vous avez un parcours et une vie professionnelle brillants. Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui souhaiteraient être comme Madame KAMAN ?
LDK : Je n’aurais pas la prétention de qualifier mon parcours de brillant. J’ai plutôt suivi mes envies et surtout croisé sur mon chemin des personnes extraordinaires, qui m’ont accompagnée et qui continuent de le faire afin que je donne le meilleur de moi-même.
Je dirais plutôt qu’il faut suivre sa voie, se rappeler ce qu’on voulait faire étant enfant par exemple, se permettre de rêver grand et ne pas avoir peur d’aller à l’encontre de ce que peut penser les autres et SURTOUT se faire entourer et accompagner par des personnes positives.
INESI – Qu’est-ce que le leadership pour vous ?
LDK : Ce mot est aujourd’hui complément galvaudé. Par effet de mode, il est devenu un fourre-tout. Pour moi, le leadership ne s’apprend pas ! On est leader presque indépendamment de sa volonté, car ce sont nos actions positives qui conditionnent la vision que les autres ont de nous. Par conséquent, je suis assez sceptique sur tous ces programmes de Leadership par-ci et par là, qui à mon sens, ne sont qu’un moyen de nous inculquer le paradigme des autres et non de développer le nôtre. Approprions-nous la réflexion du leadership au sens large, mais développons nos propres modèles en nous inspirant des pionnières et de la jeune génération dynamique.

© Nigerdiaspora.net
INESI – Quels sont les procédés à mettre en place, selon vous, pour effectuer un changement de paradigme dans la construction des projets et l’implication des ressources locales ?
LDK : La première chose est d’arrêter de penser que ce qui se fait dans les pays occidentaux est « parole d’évangile ». Sur cet aspect, je pense qu’une partie de la jeunesse nigérienne en est consciente ; ce qui est une bonne chose. Nous devons absolument penser local dans la construction de nos projets. Par exemple, un porteur de projet qui vient me voir avec un projet de développement comprenant une partie construction. Nous travaillerons d’abord sur la possibilité d’utiliser des matériaux locaux, par exemple la terre en lieu et place du béton, qui, souvent associé à une conception minimaliste pour contrecarrer le coût du ciment, est mal adapté à notre environnement – et il existe des modèles reconnus de construction en terre dans toute l’Afrique de l’ouest.
La deuxième, est que nous devons absolument créer des centres de réflexion et de recherche afin de trouver des solutions sur le long terme, adéquates à nos réalités ; raison pour laquelle je me réjouis de connaitre l’INESI. Cela est essentiel pour transmettre une nouvelle forme de pensée à nos enfants, et éviter d’être une pâle copie des pays occidentaux.
En troisième lieu : l’éducation est essentielle dans ce changement de paradigme. En effet, dès les premières années scolaires, les manuels doivent intégrer notre histoire ; pas seulement sous l’angle « les résistants », mais notre histoire avec un grand « H ». Cela passe aussi par la prise en compte des langues locales dans l’apprentissage scolaire etc. Cela ne veut pas dire vivre dans le passé, mais évoluer avec notre ère tout en étant conscient et en respectant ce que nous sommes et d’où nous venons.
Enfin, tous nos docteurs ayant fait des recherches et présenté leurs thèses doivent publier ; c’est ainsi qu’on garde les traces des solutions adéquates et compatibles à nos problématiques.
INESI – Vous accompagnez aujourd’hui des porteurs de projets et entrepreneurs en France et en Afrique à travers la structure DLC France conseil. Pouvez-vous revenir sur votre expérience française ? Quelles convergences et différences avez-vous remarqué par rapport à DLC Niger ?
LDK : La création de DLC France est assez récente, elle a été créée suite à deux constats :
- Chaque personne issue de la diaspora africaine que je rencontrais avait l’envie ou l’intention de monter un projet à impact dans sa communauté ou dans son pays. Mais ces personnes étant loin du lieu du projet, et ne savaient pas par où commencer ;
- Les personnes qui décident de se lancer construisent leur projet sans étude de viabilité ou faisabilité sérieuse. Elles demandent souvent à l’ami, le collègue ou la famille de faire le site internet, le marketing, le Business plan … ce qui finit souvent en catastrophe, avec des fonds engagés et perdus par manque de professionnalisme et de cadrage dans la manière d’aborder le projet.
C’est ainsi qu’est née DLC France, dont la mission est d’orienter les porteurs de projets, guider les jeunes entrepreneurs et accompagner durablement les associations, toujours dans l’optique de valoriser les projets d’impact sur le continent. Depuis janvier 2019, j’accompagne une dizaine de projets en France, Bénin, Togo, Madagascar, Niger, Kenya etc.
Pour la diaspora Nigérienne, DLC France permet de construire le début de projet ici, avec toutes les hypothèses associées. Ensuite, DLC Niger prend le relais dans l’accompagnement en ce qui concerne les voyages terrains, l’étude du marché, les plans d’affaires etc. Ainsi DLC France est une forme de passerelle entre la diaspora nigérienne et les acteurs de la création d’entreprise au Niger.

© DLC France Conseil
INESI – Comment appréhendez-vous les défis sécuritaires actuels dans la région sahélienne dans le cadre de vos activités ?
LDK : Le travail de recherche effectué pour mon mémoire sur les défis en zone sahélienne a été le déclic de mon engagement dans l’accompagnement et la construction de projets à impact. Ce mémoire a été décisif sur ma manière d’appréhender les problématiques rencontrées dans cette zone sahélienne. L’histoire nous montre que la guerre, les rapports de forces ne résolvent pas les problèmes de fond. Seule la compréhension de notre histoire commune, le dialogue, l’accès aux besoins de base (sécurité alimentaire, santé, éducation, emplois) nous permettront de venir à bout des problèmes. On aura beau injecter des milliards de fonds, qui de surcroit ont du mal à arriver aux personnes concernées, tant que la question de la dignité des uns et des autres n’aura pas été réglée, ce sera peine perdue.
A notre niveau, à travers DLC Niger et DLC France nous militons pour que les jeunes puissent avoir les outils nécessaires pour créer leur auto-emploi. Nous accompagnons essentiellement des projets entrepreneurials qui sont susceptibles d’une part de créer de l’emploi et d’autres part de répondre aux besoins de bases. Notre souhait pour les années à venir est d’ouvrir des antennes dans les zones à risque sécuritaire afin d’être au contact de ces jeunes pour leur apporter notre savoir-faire ; les empêchant ainsi de s’impliquer dans des activités douteuses.

© Matteo Maillard
INESI – Pouvez-vous conseiller à nos lecteurs trois ouvrages qui vous ont marquée ?
LDK : Je lis beaucoup et plusieurs livres m’ont marquée d’une manière ou d’autres,
Pour en citer 3, je dirai Incontestablement, Afrotopia de Felwine Sarr aux éditions Philippe Rey. Je le conseille à toute personne qui se trouve dans une démarche de penser le continent africain autrement.
Ensuite, Le Niger d’André Salifou aux éditions L’Harmattan qui a été mon premier livre lu sur le Niger avec sa concentration d’informations où on décèle sa posture d’historien.
Et enfin, Perdre sa culture de David Berliner aux, éditions Zones Sensibles, qui explore le besoin de transmission des sociétés.
INESI – Avez-vous un message à la jeunesse ?
LDK : Cherchez d’abord à savoir qui vous êtes, à quoi vous aspirez, ce que vous pouvez apporter à la communauté ; ensuite, rêvez grand et OSEZ !
Par L'INESI le 21 Août 2019
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